Less than zero, premier roman de Bret Easton Ellis est un livre doublement dérangeant par sa forme et bien entendu par son propos.
Nous faisons ici une plongée dans la vie de la jeunesse dorée de Los Angeles. L’argent dégouline de tous les côtés, tout le monde roule en Porsche, va prendre des verres dans les dernières boîtes à la mode, snife de la coke, baise tout ce qui passe, va faire des soirées dans des villas monstrueuses etc.
Vous vous attendez à un truc glamour ou au pire plein de paillettes ? Raté … Tout cet argent ne cache qu’un vide d’une profondeur abyssale. Tous ces types n’ont rien à foutre de leur journée, trop d’argent et pas beaucoup d’imagination. La seule chose qu’il leur reste c’est donc de snifer de la coke et partir dans des trips plus ou moins gores.
« ‘But you don’t need anything, you have everything’ I tell him.
Rip looks at me. ‘No I don’t’.
‘What ?’
‘No I don’t’
There’s a pause and then I ask, ‘Oh shit Rip, what don’t you have ?
‘I don’t have anything to loose’. »
C’est très exactement ce que nous raconte Clay, qui rentre sur Los Angeles pour les vacances d’hiver. Clay est totalement détaché de tout, mène une existence de looser friqué que rien ne motive. Pas une seule fois dans tout le livre Clay ne prend une quelconque initiative. Il se borne la plupart du temps à boire, snifer de la coke et mater MTV parce qu’il n’a rien à foutre. Ce livre est l’expérience ultime du looser, mais un looser riche qui vit à Los Angeles, donc le looser cool. Enfin cool … en apparence car ici nous allons voir ce que sont ces gens de l’intérieur et franchement ? Il n’y a rien à voir.
Clay, donc, va mal. Vous espériez un soutient familial ?
« Mom, tell him to answer me. Why do you lock your door, Clay ?
I turn around. Because you both stole a quarter of gram of cocaïne from me last time I left my door open. That’s why.
My sisters don’t say anything. ‘Teenage Enema Nurses in Bondage’, by a group called Killer Pussy comes on the radio, and my mother asks if we have to listen to this and my sisters tell her to turn it up, and no one says anything else until the song’s over. When we get home, my younger sister finally tells me, out by the pool, ‘That’s bullshit. I can get my own cocaine’. »
Raté …
Je ne sais pas comment décrire le vide qui habite Clay. C’est un état saisissant qui est notamment mis en abime par l’effritement de sa relation avec Blair, son « ancienne/actuelle/on ne sait pas trop » petite amie. Il est conscient de cet état de fait mais ne trouve jamais l’énergie de rien faire. Il est tout simplement incapable d’agir… Ah si, il prend une initiative dans tout le roman : il dégage son psy qui de toute façon n’avait pas grand-chose d’autre à lui apporter que des jérémiades du style j’ai cassé le carter de ma Porsche …
Le mouvement du roman est tout d’abord insensible. On entre dans cette torpeur, on y passe la presque tout notre temps et pourtant, dans les dernières pages, le mouvement s’accélère, non pas parce que Clay va remonter la pente mais bien au contraire parce qu’il va la descendre jusqu’au fond, tout en bas dans le glauque et l’abject.
Il va en effet suivre son ami Julian, devenu prostitué gay pour payer sa coke (Julian qui roule bien entendu en Porsche...), et assister à deux « passes ». Il va pour la première observer son ami se faire prendre par un vieux pervers pendant plusieurs heures puis finir dans une sorte de soirée à la Eyes Wide Shut dont il finira par partir après avoir vu ce qui arrivait à Julian lorsqu’il tentait d’expliquer à son mac qu’il voulait arrêter …
Entre les deux, il aura eu l’occasion de constater que ses amis « normaux » matent des snuf moovies et violent des gamines de 12 ans.
Charmant n’est-ce pas ? Et bien même cela n’arrivera pas à faire réagir Clay. Tout au plus prend-il la fuite lorsque les choses deviennent insupportables.
Less than zero est aussi une expérience stylistique surprenante. Le roman est écrit par petits paragraphes composés de quelques phrases jetées pelles mêles ça et là. C’est au départ déroutant mais on finit par se rendre compte que l’écriture ne dégage aucune émotion, pas un seul sentiment. C’est l’écriture d’un homme à la dérive, qui observe sa vie se jouer devant lui comme on dresserait le synopsis d’un film en quelques phrases. C’est l’écriture de Clay.
C’est une expérience littéraire originale. Je ne sais pas si j’ai réellement aimé mais en tout cas je pense que je me rappellerai de ce roman.