(pas de citation ici, car je ne veux pas salir mon blog des phrases rapportées dans ce recueil)
Lorsque les éditions Pimientos m'ont proposé de m'envoyer un recueil qu'ils venaient de publier, un livre noir de la littérature française du XIXème, où la face raciste de la société française de l'époque apparait, j'ai accepté avec plaisir. L'approche, qui consiste à faire tomber de leur piédestal des auteurs reconnus en dévoilant leurs côtés les plus sombres, me plaisait beaucoup.
Au final, je dois avouer que la lecture de ce livre n'est pas très agréable : les textes choisis donnent une légère nausée qui va s'accentuant (les Goncourt et Loti étant particulièrement répugnants). Insérés au sein de leurs romans respectifs, les passages réunis ici mettraient déjà mal à l'aise, mais les lire les uns à la suite des autres ne laisse pas le lecteur dans un état agréable ( et ce n'était sans doute pas le but).
Un autre aspect qui ne rend pas la lecture très plaisante est le côté fragmentaire de l'exercice. A part deux récits (Manette Salomon, de Goncourt et Le roman d'un spahi de Loti), si ouvertement racistes que les nombreux passages cités permettent d'en reconstituer l'histoire, les autres textes cités sont ici une description, là une scène, ici un dialogue complètement sortis de leur contexte, ce qui m'a gênée à la lecture.
Mais, quelque part, c'est le jeu du recueil, ma pauvre Lucette !
Cependant, j'aurais aimé que puisqu'on sortait le texte de son "sens littéraire" on lui donne un sens historique au recueil. Or, à part une brève introduction (9 pages) et une page de présentation devant chaque auteur présenté, qui n'est souvent qu'un jugement moral, le recueil livre les textes de manière brute. Or, sans être historienne ni spécialiste du sujet, il me semble que trois courants, de gravité différente, se dégage de ces textes.
Le premier, le plus ignoble, est celui des théoriciens du racisme : Renan, Goncourt, Loti, avec des propos nauséabonds, tentent de démontrer pourquoi l'inégalité entre les hommes est nécessaire et pourquoi les blancs doivent gouverner, tyranniser les autres. Une question qui n'est absolument pas abordée dans le recueil est d'ailleurs celle du rôle de la colonisation dans la mise en place d'une idéologie raciste : à quel point le racisme de la société française de l'époque était une manière de justifier les guerres de conquête de l'Afrique. Si tu veux tuer ton chien, tu dis qu'il a la rage ; si tu veux conquérir un pays, tu dis qu'il est peuplé de sous-hommes barbares...
Le second type de texte est celui de romanciers qui utilisent des stéréotypes de leur époque dans leurs romans : Esther, la belle juive de Splendeur et Misères des courtisanes, (Gobseck juif, l'usurier de la Comédie Humaine n'est étonnament pas cité), Llanga le gentil noir un peu bête de Jules Verne, vont constituer des archétypes que le lecteur va immédiatement reconnaître. Propos coupables, certes, mais qui en disent plus sur l'imaginaire de l'époque que sur autre chose. D'ailleurs, les auteurs qui se rendent coupables de ces textes sont généralement les auteurs des romans les plus vendus à l'époque. Comment verra-t-on dans 100 ans nos best-sellers où les femmes sont forcément des pipelettes, et où les hommes ne pleurent pas parce que ce n'est pas viril ? Misogynie, sexisme, ou bêtise pure et simple ?
Le troisième type de texte correspond à la mode scientifique qui cherchait, dans les traits physiques, dans l'origine géographique ou raciale, des caractéristiques morales. C'est l'époque où est née la légende de la bosse des maths, où on cherchait sur les crânes des condamnés la bosse du crime. Qu'y-a-t-il d'étonnant à ce que Stendhal cherche dans la population française les descendants des Gaels, des Kymri, des Francs, ... ? Et ne nous rendons-nous même pas coupable des mêmes crimes lorsque nous expliquons que les bretons sont têtus, les corses colériques et les parisiens hautains ? Est-ce de la même gravité que les propos de haine et de violence raciale prônés par les Goncourt ou Loti ?
Que les distinctions que je dresse là soient poreuses, j'en suis consciente. Mais mettre tous ces textes au même niveau me semble desservir le propos même du recueil.
Enfin, une dernière chose m'a gênée dans ce recueil : l'absence totale d'auteurs femmes. On pourrait se féliciter que George Sand ou Marie d'Agoult n'ait pas été racistes, mais ces auteurs ne sont même pas citées aux côtés de Flaubert, Nerval, Gautier parmi les écrivains ouverts d'esprit. Et je crois me rappeler que passages dans la Comtesse de Ségur qui m'avaient mise très mal à l'aise étant enfant, aurait peut-être mérités de ses retrouver, hélas, dans ce recueil.
Alors, est-ce à dire que la littérature écrite par des femmes n'est pas considérée comme de la vraie littérature ? Ca serait dommage pour un recueil qui cherche à dénoncer les discriminations ...
Merci en tout cas à Pimientos pour ce partenariat.