"Par hérédité et par tempérament, il était le frère de ces aimables bons à rien venus de leur Irlande natale ; le frère de ces poètes qui déclament leurs oeuvres jamais publiées à Dublin ; de ces peintres aux toiles vierges ; de ces compositeurs sans partitions ; de ces pseudo-politiciens qui discutent fièvreusement dans les tavernes des bords de la Liffey, mais qui ont échoué à l'examen d'entrée à Trinity College. Oui, il était le frère de ces innombrables Irlandais, des hommes certes doués et pourtant des ratés, qui dans leur pays natal se contentent de rêver leur vie sans arriver à rien et qui, transplantés, se perdent corps et âme."
Comment être celui sur les épaules duquel a reposé tout l’espoir d’une famille, un père ambitieux, une tante, trois sœurs aimantes, et échouer ? Comment être l’artiste d’une fratrie, laisser ses sœurs se sacrifier comme gouvernantes pour subvenir à ses besoins, et ne jamais être publié, quand leurs romans rencontrent le succès, tant critique que populaire ? Comment avoir sorti de son imagination les personnages fabuleux, et être incapable de les mettre en scène, quand ses sœurs en tirent les mythes vivants que sont Rochester et Heathcliff ?
Plutôt que de s’intéresser directement à la biographie des sœurs Brontë, Daphnée du Maurier pointe le doigt vers leur frère raté, Branwell. Branwell, enfant brillant, sur lequel pèse tous les espoirs de la famille, trop d’espoir peut-être pour cet être intelligent mais sans génie.
Mais Branwell dont l’imagination créa l’univers dans lequel la fratrie rêvait dans leur enfance, du terrible Zamorna au noble Percy. Tandis que d’autres enfants de cet âge s’amusent, les jeunes Brontë écrivaient les aventures de leurs héros d’enfance, dans la fabuleuse région d’Angria, dans ce « monde infernal » qui devint vite pour Branwell un attrait si fort qu’il préféra y passer ses journées, dans l’alcool et l’opium, plus que dans le monde réel.
Au final, ce seront ses sœurs, plus sérieuses, plus tenaces, qui feront naître les personnages d’Angria dans des histoires plus ou moins inspirées de leur vie réelle, les faisant passer à la postérité. Et Branwell mourra d’une maladie que son addiction à l’alcool et à la drogue aura longtemps cachée…
Cette biographie de Daphnée du Maurier est passionnante. Passionnante, parce qu’elle est extrêmement sérieuse et bien documentée. Passionnante parce qu’elle décrit l’histoire de la famille Brontë à travers un angle original. Passionnante parce qu’en lisant ce que du Maurier pense de la tentation de l’écriture, du monde imaginaire, on en apprend beaucoup sur son propre monde imaginaire : combien de temps Rebecca a-t-elle hantée son auteur ? Passionnante parce qu’elle est écrit avec cette langue magnifique que du Maurier manie si bien…
Bref, à lire.
Luen lecture commune avec George
Lu dans le cadre du challenge Un Automne avec les soeurs Brontë
Lu dans le cadre du challenge victorien