
Ce roman raconte l'histoire de trois femmes. Toutes les trois vivent à New-York, dans les années 20, au sein de la même famille, dans un milieu très aisé. D'abord, il y a Ms Manford, la mère. Une femme très occupée, avec un agenda réglé au quart d'heure près , de son réveil à son coucher, soigneusement tenu par sa discrète et dévouée secrétaire. Elle remplit par ses multiples obligations sociales le vide de son existence. En courant de coiffeurs en manucures, de discours pour la liberté des femmes aux discours pour la natalité, et de gourous en réunions mondaines, elle oublie de regarder autour d'elle, son mari s'éloigner, son fils sombrer dans la dépression, son ex mari tomber malade.
Il y a sa fille, Nona, une jeune femme de vingt ans, qui essaie de réparer sa famille, de jouer le rôle que sa mère néglige, tout en ayant la vie d'une jeune fille, les clubs de jazz et les amants, les doutes et les remises en question.
Il y sa bru, Lita, l'épouse de son fils Jim, un être éthéré et paresseux, l'exact inverse de Ms Manford - et le contraire de la généreuse Nona. Lita rêve, Lita danse, Lita flirte, Lita va devenir actrice de cinéma, Lita va devenir maîtresse d'un acteur. Lita va rendre tout le monde malheureux, séduire son beau-père, humilier Ms Manford, décevoir Nona, et cruellement blesser Jim. Lita est l'élément étranger, gracieux et cruel, qui va faire mouvoir la famille.
C'est peu de dire que j'ai adoré ces portraits de femmes. Nulle part, Wharton ne juge. Et si elle semble le faire de temps à autres, quand Nona a honte de sa mère par exemple, elle redonne tout de suite la parole à l'accusée pour sa défense et ses motivations. Bien sûr, j'ai préféré Nona. Edith Wharton aussi, j'en suis certaine ; c'est en elle qu'elle se retrouvait, à prendre soin tendrement de chacun des personnages. Mais cela ne l'empêche pas de comprendre et de faire vivre devant nous les autres.
J'aime le style d'Edith Wharton. Sa manière si fine de présenter la psychologie des êtres qu'elle fait mouvoir devant nous. Quand je lis un paragraphe comme celui-ci : "Elle avait déclaré son refus solennel, définitif. Elle s'était sacrifiée, elle avait sacrifié Heuston, à l'idéal stupide d'une femme entêtée qui parvenait, pour impressioner les gens, à masquer son égoïsme derrière des formules de philanthropie et de piété. Parce qu'Aggie passait son temps à l'église , et qu'elle régentait des comités d'asile pour vieillardes et de maisons de repos pour tuberculeuses, elle avait un permis de cruauté à damner les frivoles. Détruire deux vies pour préserver son propre idéal de pureté !", je trouve une compréhension de la psychologie humaine qui m'inpressionne ! Elle fait vivre devant nous Nona, Nona qui regrette d'avoir repoussé son amant, et de lui avoir refusé le mariage, pour les bienfaits de l'épouse délaissée. Celui-ci, qui décrit Ms Manford m'a également beaucoup touchée : "Vingt-cinq milles bulbes de plus que l'année dernière ... Elle aimait que tout se passe ainsi. C'était exaltant de dépenser davantage d'argent chaque année, de ne cesser de s'agrandir et de s'améliorer, dans les petites choses comme dans les grandes, de faire face avec promptitude et énergie à des exigences croissantes et imprévues, et de finir l'année épuisée mais victorieuse, avec les travaux accomplis, les factures payées et un crédit bancaire rassurant. Pour Pauline, c'était 'la vie' .".
Outre l'intelligence et l'universalité qui transparait dans ce roman, j'ai été également très intéressée par le portrait qu'il fait d'une société qui ressemble à la nôtre. Il y a des problématiques communes, entre ces années 20 et nos années 2000, dans les relations hommes-femmes, par exemple. Quand Lita se plaint que son mari, Jim, reste passif et mou lorsqu'elle lui demande le divorce, je retrouve des accents lus dans les pages "vécu" du Elle de cette semaine. Et il y a chez Nona et, dans une moindre mesure, chez Lita, une sorte d'angoisse du lendemain, de peur diffuse noyée dans les fêtes et l'ivresse de la musique, que je retrouve dans la génération des 20-30 ans actuelle. Il y a dans ce roman une humanité intemporelle...