Scout Finch a 6 ans et est un vrai garçon manqué. Elle vit à Maycomb, Alabama, avec son grand frère Jem, à peine plus âgé qu’elle, et son père Atticus et elle porte un bleu de travail au grand dam de sa tante. Sa mère est morte il y a bien longtemps et seul son frère Jem est assez vieux pour se rappeler d’elle. Atticus élève seul ses enfants avec l’aide de Calpurnia, leur bonne noire. Scout et Jem vivent une enfance absolument idéale qui n’est pas sans rappeler ce monde merveilleux de Tom Sawyer ; on y retrouve cette ambiance de douce chaleur et de liberté. Maycomb est un lieu hors du temps et refermé sur lui-même dans lequel tout le monde connait tout le monde et dans lequel tout semble bienveillant à part peut être l’inquiétante maison des voisins, les Radleys.
Les Radleys ne sortent presque jamais de leur maison et en tout cas leur fils, Boo Radley, n’est pas apparu depuis tellement longtemps qu’il a acquis le statut de mythe à la fois fascinant et terrifiant pour Scout et Jem. L’ombre inquiétante de Boo occupera une place d’honneur dans les jeux de Scout, Jem et Dill, un autre gamin qui passe tous les étés à Maycomb chez sa tante. Boo est bien entendu un monstre terrible, un tueur assoiffé de sang qui rôde la nuit. De quoi mettre du sel dans la vie des trois gamins…
Harper Lee prend son temps. Nous suivrons la vie de Scout et Jem pendant plusieurs années. Si le monde qui les entoure semble figé hors du temps, leurs consciences d’enfants s’éveillent doucement et Maycomb change insensiblement au fur et à mesure que leur attention s’éveille.
Les premiers temps du roman sont centrés sur le foyer familial, un monde familier et bien balisé dans lequel l’inconnu (Boo Radley) fait peur. Jem commencera le premier à grandir puis Scout commencera l’école (quelques moments grandioses avec la nouvelle maîtresse d’école) et sera confrontée à un autre chose qu’elle ne connait pas bien, jusqu’au jour où leur quotidien sera insensiblement bouleversé par l’irruption du monde adulte. Leur père Atticus, avocat, va en effet se charger de la défense de Tom Robinson, accusé de viol. Rien que de très quotidien, surtout en les temps qui courent, si ce n’est que Tom Robinson est noir et la victime blanche.
Or à Maycomb, nous sommes en plein ex territoire confédéré. Les noirs sont les inférieurs des blanc et tout crime commis par un noir envers un blanc est capital. Le fait même qu’Atticus, un blanc, assure la défense d’un noir est révoltant pour la petite communauté de Maycomb. Et puis de toute façon il est noir non ? Pourquoi donc le défendre…
Ce roman est un pur et absolu chef d’œuvre. Harper Lee y développe des thèmes d’une grande puissance et d’une profondeur avec une intelligence et une finesse rare. Le fait que la narratrice soit une gamine de 6 ans témoigne d’une très grande habileté car permet d’introduire beaucoup de légèreté dans ce qui, eu égard aux thèmes abordés, aurait pu être un poncif sirupeux, pontifiant et dégoulinant.
Qui plus est, Harper Lee écrit merveilleusement. Son style est simple mais elle sait créer une atmosphère douce et attachante. J'ai beaucoup ri et souri en lisant ce roman. Elle aborde avec simplicité mais beaucoup de pronfondeur des thèmes graves, grâce à un immense talent de narration et de mise en scène. Certaines scènes sont magnifiques, comme le procès, le premier jour d’école, le goûter de ces dames ou la fin.
Elle y dresse une galerie de personnages riches et pour certains inoubliables. Atticus, le père et défenseur de Tom Robinson est une pure merveille. Il est le parfait humaniste, sage et bienveillant. Mais surtout Atticus nous est décrit par sa fille. Par cet artifice Harper Lee donne beaucoup de consistance et d’humanité à son personnage, évitant par là la caricature.
J’aurais envie d’écrire des pages et des pages pour décrire tous les personnages secondaires, certains très attachants comme Miss Maudi, la voisine, d’autres vraiment insupportables comme une autre voisine Miss Crawford, cancanière idiote et méchante ou d’autres enfin, très complexes, comme leur tante, maîtresse femme qui incarne ici le pilier de la tradition et aussi la première figure féminine à intégrer le monde de Scout.
Ce roman traite d’un nombre incroyable de thèmes fondamentaux avec lucidité et sans concession. Le plus évident est bien sur le racisme et l’égalité des hommes mais il ne faut pas pour autant oublier ceux des classes sociales, de la féminité, de l’éducation, de la tolérance ou de l’apparence.
J’ai aimé les idées développées par Harper Lee, j’ai aimé la façon dont elles le sont, je me suis senti bien dans ce roman. Je n’ai qu’une seule envie : m’y replonger. J’ai envie d’écrire tout ce que j’ai ressenti à la fin, sur ce qu’elle révèle de la posture d’Harper Lee et de sa misanthropie.
Enfin, lorsque je vois l’actualité et en particulier l’affaire DSK, je me dis que To Kill a Mockingbird a beau avoir été écrit dans les années 60, il reste un roman d’une actualité brûlante. Je n’ai pas pu m’empêcher de voir en la femme de chambre du Sofitel Tom Robinson et en DSK Mayella Ewel… (l'abus par un blanc puissant d'un noir faible) C’est un roman que je ferai lire à mes enfants car je ne vois pas comment mieux trouver les mots pour leur dire sur la base de quelles valeurs je voudrais qu’ils mènent leur vie.
B.