Le ruban blanc est un film en noir et blanc. De part sa forme, bien sûr, puisque Haneke a choisi de tourner un film sans couleur, tout de contraste. Un noir très pur, très sombre, presqu'envoûtant, qui absorbe tellement la lumière qu'il en parait gras. Un blanc pur lui aussi, lumineux, aveuglant, douloureux, surtout quand la neige recouvre les champs et en sature l'écran. Il n'y a pas de gris dans ce film, ou très peu.
Noir et blanc de part son sujet. Pour les parents de ce village, il n'y a pas de gris non plus. Les enfants sont des anges aux voix diaphanes, ou de petits animaux qu'il faut débarrasser de toute pulsion, y compris en les torturant - ou en leur attachant au bras un ruban magique, sensé leur rappeler leur nature angélique.
Il n'y a effectivement pas de gris chez les enfants. Il y a les ravissants angelots, le fils du baron Sigi, les enfants du médecin et le plus jeune fils du pasteur. Et les autres, menés par la diabolique Karla.
Ce film est comme un conte. Un conte où un monstre agresserait un à un les habitants du village. Adultes et enfants, femmes et hommes. Et d'une manière de plus en plus cruelle. Ca commence comme un accident, ça se continue avec un meurtre, et ça se poursuit avec des séances de torture sur des innocents. Une montée en puissance de l'horreur que les premiers mots de l'instituteur nous font pressentir.
Mais plus que le conte, je trouve qu'il y a dans ce film une sorte d'évangile. On y trouve les blonds chérubins, tout en tendresse et amour, qui pour un oiseau, qui pour sa soeur. Il y a la patiente victime - la malheureuse Anni. Il y a les traitres sournois, les imbéciles tout à leur méchanceté, suivant aveuglément une loi, la loi que leur enseigne les adultes.
Ahhhh, les adultes. Face à la mythologie représentée par les enfants, ils sont d'un réalisme glauque. Bien sûr, tous ne sont pas mauvais. L'instituteur, par exemple, est un chic type. Même s'il est lâche. Et peureux. Même si son attirance pour une jeune nurse de 16-17 ans, de presque 15 ans sa cadette, me dérange. Mais comparé aux autres ...
Comparé au régisseur qui bat ses enfants. Au médecin qui viole sa fille. Au pasteur qui, à force de sévérité, de respect de règles absurdes, transforme ses enfants en monstres... Si le monde des enfants est une mythologie du bien et du mal, celui des adultes est un vaste arrangement avec les valeurs, une suite de lâchetés et d'égoïsme, une trahison de tout ce qui est beau et de tout ce qui est bon.
La bonté, justement, il y en a si peu... Le monde qui est décrit est dur, et sans concession pour les faibles. Les quelques gestes d'affection m'ont surprise. La sage-femme et son fils Karli. Le père de la nurse qui ébouriffe tendrement les cheveux de sa cadette. Et c'est tout. Le reste n'est que froids baise-mains et respect imbécile.
Bref, ce film est génial. Il m'a fait penser à certains chefs-d'oeuvres littéraires que j'ai pu lire. Il se déroule comme un livre, un de ces romans du dix-neuvième ou du début du vingtième, où l'auteur annonce la couleur dès le prologue : "Je vais vous raconter ici quelques faits, qui sont peut-être à l'origine des événements très graves qu'a subi l'Allemagne au vingtième siècle" (je cite de mémoire). Et d'un plan d'abord large, qui se rapproche, on entre dans l'histoire pour n'en ressortir que secoué, ému, chuchotant.
D'ailleurs, que j'ai aimé ce silence. L'absence de musique d'ambiance est d'abord troublante et angoissante. Elle nous déstabilise, et nous rend d'autant plus sensible au message du réalisateur. Mais enfin ! Quel bonheur que d'avoir un film qui ne prend pas ses spectateurs pour des imbéciles à qui il faut tout préciser, tels des rires enregistrés : ici il faut être ému, ici trouver ça romantique, et là avoir peur. Pas besoin de ça, et la scène où le gamin du docteur descend l'escalier de chez lui dans la nuit et le silence restera une des scènes les plus terrifiantes qu'il m'ait été donné de voir.