"Je n'en puis plus, la langueur m'accable, l'ennui me dévore, le dégoût m'empoisonne ; je souffre sans pouvoir dire le remède ; le passé et l'avenir, la vérité et les chimères ne me présentent plus rien d'agréable ; je suis importune à moi-même ; je voudrais me fuir et je ne puis me quitter ; rien ne me distrait, les plaisirs ont perdu leur piquant et les devoir leur important. Je suis mal partout : si je marche, la fatigue me force à m'asseoir ; quand je me repose l'agitation m'oblige à marcher. Mon coeur n'a pas assez de place, il étouffe, il palpite violemment ; je veux respire et de longs et profonds soupirs s'échappent de ma poitrine. Où donc est la verdure des arbres ? Les oiseaux ne chantent plus. L'eau murmure-t-elle encore ?Où est la fraicheur ? Où est l'air ? Un feu brûlant court dans mes veines et me consume ; des larmes rares et amères mouillent mes yeux et ne me soulagent pas."
Claire d'Albe, un court roman ou une longue nouvelle, raconte un classique triangle amoureux. Claire s'est mariée à 15 ans à un ami de son père tant chéri, âgé lui de plus de cinquante ans. Sept ans plus tard, alors qu'elle s'oblige à cultiver les vertus domestiques, à aimer son mari, et à prendre soin de ses enfants, arrive chez eux un neveu de son mari, dans toute la fraîcheur de ses 19 ans, Frédéric. Son mari ne s'inquiète pas "Frédéric aura besoin de conseils. Une femme s'entend mieux à les donner, et puis, votre âge vous y autorise. Trois ans de plus entre vous font beaucoup. D'ailleurs, vous êtes mère de famille et ce titre inspire le respect.".
Ce qui devait arriver arrive, bien sûr, et c'est via les lettres que Claire envoie à son amie de toujours, Elise, qu'on voit l'amour se développer entre les deux jeunes gens sages et vertueux. Mais que faire contre la force de la passion ?
Il faut dire les choses telles qu'elles sont : ce livre suinte le romantisme par tous les pores de ses pages. Le vrai romantisme, celui qui demande l'amour platonique (je ne recopierais pas ici les pages qui suivent la première et unique "faute" de Claire et Frédéric, c'est à pleurer, et pas de rire), tourments et passions, et surtout nature sauvage, tombeau d'un père auprès duquel épencher ses larmes.
Oh mon dieu ... Je ne dis pas que c'est un mauvais roman (c'est juste terriblement prévisible) et je suis certaine que j'aurais pleuré toutes les larmes de mon coeur en le lisant à 17 ans. Mais dix ans plus tard, ... mon regard est plus critique. Il n'y a pas la grâce de La princesse de Clèves dans les pas duquel il marche. Les descriptions de la nature sauvage si semblable aux passions semblent faibles après Lamartine. Et les personnages ... on les croirait sortis de l'Emile de Rousseau, Claire si noble et si pure - mais déjà corrompue par la société ; Frédéric sauvage et sans éducation, plein de cette vertu que ne peut justement donner que l'absence d'éducation ; M. d'Albe, paterfamilias tendre et généreux ; Elise, enfin, cette garce d'Elise qui apparait en filigrane, sage et déséchée.
Alors, ce n'est pas déplaisant à lire, c'est assez court et j'ai pris du plaisir à me replonger dans la littérature de mon enfance - non sans songer plusieurs fois à Balzac, le Lys dans la Vallée et Les mémoires de deux jeunes mariées, notament. Mais c'est de la littérature dont on peut clairement se dispenser.
Lu dans le cadre du challenge Dames de lettres
Et du challenge Romantique