"Ils étaient venus d'Angleterre jusqu'à Minneapolis pour visiter des toilettes."
Ce roman m'a été offert pour mon anniversaire par des amis au goût sûr : je m'attendais donc à lire un très bon livre. Mais d'une telle qualité ? Non. Je me suis retrouvée à lire dans la rue en marchant, à profiter de la moindre pause, des plus petites minutes d'attente pour le sortir. Inlâchable !
Juliet, naked commence aux Etats-Unis, dans des toilettes. Enfin, pas n'importe quelles toilettes : celles dans lesquelles Tucker Crowe, un chanteur star des eighties, alors en pleine tournée et au sommet de sa gloire, a pris sa décision d'arrêter la musique. C'était en 1986. 22 ans plus tard, son silence perdure.
Mais pas celui de ses fans qui peuplent le web et les forums de longues dissertations sur les significations de ses chansons, particulièrement de son dernier album, Juliet, et de sa disparition.
L'un des plus prolixes est Duncan, anglais, vivant dans une station balnéaire merdique appelée Gooleness, et abreuvant sa compagne Annie de réflexions sur son idôle depuis 15 ans. La crise de la quarantaine, la sortie d'un nouvel album, Juliet, naked, et les quelques autres événements qui s'ensuivent vont pousser Annie à reprendre sa liberté, et à se réveiller.
"Je ne suis pas sûr de pouvoir faire grand chose, tu crois pas ? La plupart des Etats interdisent l'avortement après la naissance de l'enfant."
C'est drôle, c'est fin, c'est intelligent, c'est plein de tendresse et d'amour, avec ce qui faut de cynisme et d'amertume pour ne pas être sirupeux. On croise des paparazzis amateurs, un requin mort, des ex-tops models, Dickens et quelques autres, et le tout très naturellement. Et au milieu de tout cet humour délirant, l'auteur glisse quantité de questions sur le temps qui passe, et sur les critères qui permettent de juger qu'une vie est réussie - ou ratée.
Les trois personnages principaux, Annie, Tucker et Duncan sont savoureux. J'ai particulièrement aimé Annie et sa manie de rougir pour trois fois rien, comme une adolescente, ses tentatives pour récupérer sa vie, ses comptes d'apothicaire sur la question des années perdues. Elle est le genre de personnage avec qui on aime passer du temps, et dont on se ferait une amie. Tucker, en rock star dépressive, est adorable aussi. Sa relation avec Jackson est particulièrement émouvante : les romans parlent rarement de l'amour entre un père et son fils, et c'est ici abordé d'une manière très touchante, sans pathos mais avec beaucoup de tendresse. Quant à mon avis sur Duncan, il a évolué au fur et à mesure de ma lecture. Du raté qui pourrit la vie d'Annie et de son idole, il apparait de plus en plus comme un type un peu paumé, un peu bête, maladroit, mais fondamentalement gentil. On ne peut pas le détester - il n'a pas l'envergure d'un personnage qu'on déteste -, alors on en prend pitié, puis on finit par lui trouver des bons côtés.
A lire, donc, sans hésiter.
"A les voir, c'est comme si la soif de littérature n'était pas mortelle : ces gens étaient capables de vous laisser suffoquer sur le trottoir."
Merci Vivienne et Pascal !