"Des panneaux indicaient le nom du village suivant, qui se révélait être, quand j'avais réussi à traduire le sens des mots irlandais, un joli nom. Le Moulin de l'Etranger. Le Fort de la Vache Brune. Les Cygnes resplendissants. Puis venait la dure réalité : une large rue entre deux rangées de maisons à deux étages en briques grises ou couvertes de crépi gris, une grande et unique église, grise, et une paire de pubs sinistres. Toute l'histoire du lieu s'était réfugiée dans la langue."
Kathleen de Burca approche de la cinquantaine. Elle est arrivée à Londres quand elle avait à peine vingt ans, et a changé son nom en Kathleen Burke. Devenue journaliste, elle oublie son passé, l'Irlande, sa mère dépressive, son père alcoolique et violent, dans son travail et les hotels luxueux aux quatre coins du monde. Elle se recrée une famille, son patron, ses amis, et surtout Jimmy, son confident, son frère.
Le jour où Jimmy meurt, elle décide de retourner en Irlande. Elle y va soit-disant pour enquêter sur une affaire d'adultère entre une jeune noble anglaise, et un roturier irlandais, au sortir de la Grande Famine. Elle y va surtout pour se retrouver.
"Jimmy affirmait qu'il pouvait dire, lorsque j'arrivais au bureau, si je sortais de mon sous-sol ou pas. L'obscurité me collait à la peau."
C'est un livre riche, terriblement riche, et je ne sais pas par quel bout commencer mon commentaire.
L'Irlande. Elle imprègne Kathleen jusqu'au bout des ongles. Kathleen a en elle cet amour bouversant des exilés pour leur pays, un amoure mêlé de haine. Sa plongée en Irlande m'a fait l'effet d'un grand bol d'air frais, un cri d'amour pour un pays dont elle montre tous les défauts, les gens trop bavards, ce culte de l'histoire, cette victimisation constante, la situation désastreuse des femmes.
"Je ne savais pas qu'après une journée passée à me faire rembarrer de partout, je prendrais un faux accent anglais pour parler aux agents immobiliers. Je ne pardonnerai jamais à cette ville, me dis-je au matin de mon quatrième jour de recherche, de m'avoir obligée à m'abaisser ainsi."
Il y a Marianne Talbot, cette anglais exilée en Irlande, portrait en miroir de Kathleen, qui trompe son mari avec Mullan, le palefrenier, alors que les gens meurent de faim autour d'elle. Cette Marianne aux visages multiples, qui change au fur et à mesure que Kathleen progresse dans son enquête. Au fur et à mesure que Kathleen progresse dans son introspection.
"Mais elle avait surement lu Jane Austen, et les filles chez elle, à Londres, devaient beaucoup attendre des propriétés de leurs futurs maris. Emma aimerait beaucoup le domaine de M. Knightley et Elizabeth allait adorer la grande propriété de M. Darcy dans le Derbyshire."
Ce roman m'a bouleversée : c'est un magnifique portrait de femme, au tournant de sa vie. Sa jeunesse lui semble encore à portée de main, mais elle se demande déjà si ce n'est pas la dernière fois qu'elle fait l'amour et est aimée d'un homme... Les blessures de l'enfance ne sont pas refermée, mais l'angoisse de vieillir l'étreint.
C'est un livre qui m'a fait pleurer, parce qu'il est beau, parce qu'il doux, parce qu'il est tendre.
Lu dans le cadre de la Semaine Irlandaise
et dans le cadre du challenge irlandais.