"Ce genre de personne, lorsqu'elle se rappelle tout à coup, au milieu du train-train quotidien, qu'un livre l'attend en toute sécurité sur sa table de chevet, sent monter en elle un bonheur indicible."
Lorsque j'ai fini de lire Lolita, je me suis jurée que Nabokov ne passerait pas comme ça, et que je me devais lire d'autres oeuvres de lui ; et en particulier, de ses oeuvres écrites en russe, dans sa langue maternelle.
Peu après, j'ai donc saisi L'exploit sur les étagères de Gibert, me demandant si j'allais vraiment aimer cette histoire si différente de tout ce qui peux m'intéresser autrement, l'histoire d'un exilé sans nostalgie, d'un homme sans passion, sans but, sans presque de volonté.
L'exploit raconte les jeunes années de Martin, un jeune russe blanc qui fuit avec sa mère la Révolution bolchévique. Homme sans nationalité et sans attache, il passe quelques années en Suisse, puis à Cambridge où il se lie d'amitié avec un anglais, Darwin (rien à voir avec le biologiste) ; c'est à ce moment qu'il fait la rencontre de Sonia, une jeune cousine sans grande beauté, une petite allumeuse, dont il s'imagine tomber amoureux. Puis en France, en Allemagne, de nouveau en Suisse, bref dans une Europe qu'on imagine sans frontières.
"Humilié par son érudition rétrograde, il consacrait, pour combler ses lacunes, toutes ses heures de pluie à la lecture, et ne tarda pas à se familiariser avec cette odeur très particulière, l'odeur de bibliothèque de prisons, qui se dégageait de la littérature soviétique."
Aucun des personnages de cette histoire ne m'a séduite, à part peut-être Darwin, moins adolescent que les autres. Sonia m'a agacée ; Martin m'a exaspérée, son égoïsme, son manque de sentiment, de force, de courage étant trop flagrant. Quant à la famille de Sonia, ces blancs rebelles qui luttent contre les bolchéviques à grand renfort de publications écrites et publiées à Paris et Berlin, ils sont plutôt pitoyables qu'autre chose.
Et pourtant, le charme a joué. Je ne sais pas ce qui m'a séduite dans ce livre. Les ambiances, des souvenirs se collant en surimpression sur les pages, les paysages défilants à travers les fenêtres de train, les lumières au loin ; le plaisir de la lectures ; l'embellissement des souvenirs, au point d'imaginer des histoires fantasques auxquelles on croit après.. Le style de Nabokov, surtout, ces mots parfaits et exacts qu'il utilise et qui me parlent.
J'ai été aussi très touchée par la fin, cette manière de dire sans dire, de nous faire ressentir sans nous montrer, la légéreté avec laquelle il nous parle de choses difficiles, l'intelligence avec laquelle il considère ses lecteurs.
"L'air était poisseux, ici et là des racines d'arbres traversaient le chemin, des aiguilles de sapin toutes noires effleuraient de temps en temps son épaule, le sentier obscur se faufilait en lacets pittoresques et mystérieux entre les troncs d'arbres."
Commencé en France, lu dans l'avion et fini en Croatie