"A girl beloved by two - nay, those two identical in occupation as he and Kinraid were - Rose identical even in character with what he knew of the specksioneer; a girl choosing the wrong lover, and suffering and soured all her life in consequence of her youth's mistake; was that to be Silvia's lot ?"
Je continue cette semaine entamée avec la série North and South en lisant un autre roman d'Elizabeth Gaskell, Sylvia's lovers. Comme son titre l'indique, ce roman est centré autour de la personnalité de Sylvia, une jeune fille gaie et entreprenante, très loin de la réserve qu'elle aurait du montrer à l'époque géorgienne. Sylvia vit dans une ferme, à côté d'un port où les baleiniers viennent mouiller l'hiver, quand les glaces prennent les eaux. Mais, dans cette époque troublée par la guerre contre la France, les rafles de l'armée pour engager les marins revenus à terre sont nombreuses et les émeutes qui les accompagnent violentes.
C'est lors de l'enterrement de la victime d'une émeute que Sylvia pose pour la première fois les yeux sur Charley Kinraid, un marin courageux dont les exploits de la veille lui assurent déjà une place de choix dans ses pensées. Charles n'est pas insensible au charme de la belle jeune fille et sa cour est vivement encouragée par le père de Sylvia, lui même un ancien marin.
Mais n'est pas du tout du goût de Bel, la mère de Sylvia, qui préfèrerait voir sa fille épouser son cousin, Philip Hepburn, un jeune homme ambitieux, gentil, fou amoureux de Sylvia, et au charme équivalent à celui d'une huître sous le crachin.
Sylvia aime beaucoup son cousin, mais, euh ... comme un cousin et un frère.
D'où problème.
"They were intimate, and yet shy with each other, in a manner that enraged while it bewildered Philip. What was Charley saying to her in that whispered voice, as they passed each other ? Why did they lingered near each other ? Why did Silvia look so dreamily happy, so stratled at every call of the game, as if recalled from some pleasant idea ? Why did Kinraid's eyes always seek all aflame ?"
Je ne peux pas dire que j'ai adoré ce livre. J'ai eu beaucoup de mal à le lire au début. J'avais déjà fait une tentative il y a quelques années qui s'était soldée par un échec. Je l'ai repris quand la traduction française est sortie, les billets élogieux que je lisais deci-delà me tentant. Echec à nouveau au bout d'une centaine de pages.
Il a fallu Titine et sa proposition de lecture commune pour que je retente, cette fois avec succès.
Le début m'a semblé long et ennuyeux. Il y a beaucoup de retranscription de dialogues, que Gaskell retranscrit 'avé l'accent' : il faut quelques temps pour s'habituer à "feyther" pour "father", "niver" pour "never", etc. Et puis, la description psychologique de Sylvia et Philip est fine et détaillée. En nous montrant ces deux personnages dans leur vie quotidienne, Gaskell parvient à en faire un portrait extrêmement complexe, hors de tout manichéisme, ni vraiment sympathique, ni vraiment antipathique, tout en nuance. Mais si cette mise en place donne tout son prix à la suite du roman, elle m'a semblée un peu longuette à lire.
Il faut attendre que les drames arrivent pour que vraiment l'histoire démarre. Tous les ingrédients sont en place, il suffit de laisser le drame se dérouler et s'enfoncer dans toujours plus de noirceur. Autant la Sylvia heureuse et insouciante m'ennuyait, autant j'ai aimé la Sylvia brisée. Sa vengeance lui fait atteindre, sous son apparente douceur et soumission, la force et la grandeur d'une Médée. On découvre que sous la jeune fille légère se cache une femme capable de grandes haines et de grands amours.
"It was a pretty sight to see, however familiar to all of us such things may be - the pale, worn, old woman, in her quaint, old-fashioned country dress, holding the little infant on her knees, looking at its open, unspeculative eyes, and talking the little language of it as though it could understand ; the father on his knees, kept prisoner by a small, small finger curled round his strong and sinewy one; the young mother, fair, pale, and smiling propped up on pillows in order that she, too, might see the wonderful babe."
Et puis, il y a le style de Gaskell. Cette auteur parvient à rendre familier un univers si différent du nôtre. J'avais déjà été frappée par sa manière de décrire la vie quotidienne victorienne dans Cranford en nous montrant des êtres aux motivations si proches des nôtres. Cela m'a encore plus frappée ici, peut-être parce qu'elle cherchait à nous montrer une époque déjà révolue lorsqu'elle écrivait. La vie quotidienne de Sylvia, son amour pour son enfant, sa patience avec sa mère déclinante, sa dépression la rendent très proche de nous.
J'ai aussi beaucoup pensé à Jane Austen en lisant ce roman : ses héros vivent à la même époque qu'Elizabeth Bennett et les autres héroïnes d'Austen. Mais le traitement de cette période diffère entre les deux auteurs : chez Austen, la guerre est juste une péripétie comme une autre. On porte un bel uniforme, ça fait craquer les filles, on revient peut-être un peu trop buriné des longs mois passés sur les mers et ça s'arrête là. Chez Gaskell, la guerre brise des familles, met tout le monde dans un état de stress quotidien, renvoie les hommes cassés, défigurés, pauvres. Il y a du sang et des larmes dans sa guerre, ce qui la rend encore plus touchante.
Au final, je ne regrette pas d'avoir serré les dents durant les 150 premières pages, d'avoir maudit Sylvia et sa coquetterie, Philip et l'ennui profond qu'il provoquait chez moi. Les 300 dernières valaient le coup.
Lu dans le cadre du challenge victorien
Lu en LC avec Titine