"He needed a woman whom he could talk to, laugh with, eat with, love when the mood inclined him, bore and sleep with. A woman who didn't plague him with woman's gossip, or chatter of frills and laces, gown and bonnets. A woman who switched her mood to match his temper. A woman whose humour was broad as a barrack-room bruiser. A woman who, swept by anger, probably hit him. A woman who, when moved by passion, undoubtely hit him."
Mary Anne raconte l'histoire de l'arrière grand-mère de Daphnée du Maurier, Mary Anne Clarke, qui, élevée dans les plus pauvres quartiers londonniens, deviendra maîtresse de Frederick, duc d'York et d'Albany, commandant en chef de l'armée brittanique. C'est une femme étonnament attachante, pleine de vie et de rage, refusant de se soumettre, refusant d'être passive : fille d'une pauvre femme, elle travaille dès l'enfance et apprend seule à lire ; confiée à un pervers, elle s'enfuit ; mariée à un alcoolique, elle l'enferme ; quittée par un Prince de sang, elle le fait destituer. Face à elle, les hommes paraissent faibles et incapables : elle gère la carrière de son frère et de son fils, elle manipule les plus hauts gradés de l'armée, conseille Frederick, et mène sa vie comme une bataille - la victoire ou la mort.
"Only five years earlier, a prince of the blood had been broken by her. Women of her type were dangerous."
J'ai adoré ce roman. J'aime l'écriture de Daphnée du Maurier, toujours si limpide et musicale. J'ai passionnément aimé Mary Anne, dans toute sa rage, et Frederick, cet homme si simple dans un monde si complexe. Ils forment un couple absolument extraordinaire, romanesque au dernier degré, dans une Europe à feu et à sang, où seul le Royaume Uni résiste encore à Napoléon (et que fait son commandant en chef ? Il conte fleurette à Mary Anne...).
C'est la même époque que Jane Austen, mais l'ambiance est assurément très éloignée des bals et des thés : on se poursuit devant le juge, on écrit des libelles dévastateurs, on couche, on trompe, et pendant ce temps, Madame Frederick élève des chiens dans sa demeure luxueuse en province.
J'ai retrouvé le talent immense de Daphnée du Maurier : son style inimitable qui crée des univers, des personnages devant nous. Elle a fait vivre devant mes yeux les rues sales et misérables de Londres ; les réunions de libellistes dans des pubs enfumés devant une chope de bière ; l'ambiance des prétoires et des salons ... J'ai adoré !
"Dreams feel real over it. It's only when we wake up that we realize that something was actually strange."
L'avis de Céline
On a mis tellement de temps à aller le voir à cause des salles bondées ; et il y avait encore hier tant de monde dans la salle de ciné, je pars du principe que tout le monde l’a vu. Donc il y a des spoilers.
« Le mieux est l’ennemi du bien ». Voilà un proverbe dont Christopher Nolan ne connaît pas l’existence, et c’est bien regrettable.
Car, le vrai problème d’Inception est là : à trop vouloir en faire, à monter de la complexité sur de la complexité comme des œufs en neige, à multiplier les personnages, les strates de rêves, le film finit par rester inabouti, de nombreuses pistes ayant été ouvertes, puis écartées.
Il y a deux films en un, deux films qui auraient chacun mérité un meilleur traitement. Un film d’espionnage et d’action, avec la nécessaire course contre la montre revisitée, les différents personnages traditionnels : le boss, la femme, le gros bras, le petit bras malin, auquel on ajoute un second gros bras dont on ne voit pas trop l’utilité, et un japonais, qui passe par là comme par hasard. Ce film là, je ne serais sans doute pas aller le voir (1).
L’autre film, celui sur la relation amoureuse entre di Caprio et Cotillard, avecJunoHelen Page (2) comme témoin, est infiniment plus passionnant – et poétique. Cet amour qui se construit en dehors du monde, dans des strates de rêves infini, qui reconstruit sans cesse le paysage de nos mémoires, qui passe cinquante ans en quelques heures, et qui finit par se perdre dans ce labyrinthe d’imagination, cet amour si fort que les deux partenaires préfèrent vivre au contact direct de leurs subconscients que dans la réalité, est splendide. Il y a une grande poésie dans ces « limbes » et dans les scènes qui s’y passent ; l’échange entre di Caprio et Saito, cet homme épuisé dans ses souvenirs, face à Saito, égaré, perdu, vieil homme mythologique est une scène qui restera dans ma mémoire.
Et le fameux dilemme sur le réel et le virtuel ! A peine ébauché, et déjà passionnant : comment je sais que je rêve ? Et surtout, comment je sais que je suis éveillé ? Di Caprio utilise une petite toupie pour le savoir (oui, oui, on aura fini par comprendre), mais cette question d’un intérêt crucial n’est à la fin donnée que comme exemple d’inception. Et pourtant ! Il y a tellement de références littéraires et cinématographique qui se sont frottées avec succès à ce thème, La vie est un songe, de Calderon, ou Mulholland Drive, pour ne parler que de ceux que j'ai vu l'an dernier... Il y avait un tel potentiel derrière cette simple question : pourquoi Mall s'est suicidée, qui reste inachevée, à peine ébauchée.
C’est mon plus grand regret du film…
Mon autre regret, ce sont les scènes d’action. Je ne suis pas fan de la chose, mais il peut m’arriver d’aimer ça : celles de Matrix 1, par exemple, ou Casino Royal sont magnifiques. Parce qu’elles sont chorégraphiées. Et celles d’Inception, bah elles ne sont pas chorégraphiées (à part celle de l’hôtel, qui est pas mal). Et donc, n’étant pas fan des fusillades et des courses-poursuites, je me suis fait ch*** pendant une bonne moitié du film. Surtout que la musique a tendance à devenir omniprésente, très forte, de plus en plus forte, trop forte, beaucoup trop forte à la fin du film.
Mais, allez vous me dire, il en fallait pour tous les goûts !
Bah oui. A vouloir faire du ‘bon pour tous’, on finit par faire du ‘bien’. Je le regrette d’autant plus que ce film a une excellente base, une qualité graphique ahurissante, des acteurs géniaux, et de vrais moments de poésie.
La qualité graphique, par exemple : dès les premières images du film, ces vagues qui lèchent le corps de di Caprio, j'ai été séduite par le grain de l'image. Et cet enchantement a duré tout le film, dans les salles japonisantes, dans le Paris reconstruit, dans la ville aux hauts immeubles modernes.
En revanche, ce film me pose un certain nombre de questions (oui, là, je vais descendre le scénario trio oufzor qui tue qu'on nous a vendu) :
- si dans un rêve, on peut imaginer plus ou moins ce qu'on veut (genre replier Paris comme une crèpe, par exemple, ou s'imaginer avec une kalachnikov à la main), pourquoi ne peut-on pas supprimer ses ennemis en imaginant qu'ils ne sont plus là ? Hein ? Ahhhh, parce que ça supprimerait les scènes d'actions qui font venir les mecs... OK, je comprends mieux maintenant...
- Le premier rêve, celui où ils vont nous chercher une info dans le cerveau de Saito, on est bien d'accord qu'il y a un rêve dans un rêve, a dream within a dream ? Sans qu'apparement, ça ne leur pose trop de problème... Pourquoi dans le second rêve (celui de l'inception dans le cerveau de Fisher), il leur faut des somnifères hyper-puissants-même-que-si-on-meurt-on-ne-se-réveille-pas pour n'atteindre qu'un seule degré de complexité supplémentaire ?
Finalement, je crois que je suis assez d'accord avec la critique de Télérama : "Ici, les idées intéressantes ne manquent pas : la mort comme seul moyen de se réveiller ; les rêves dans le rêve, avec des effets de dilatation ou de contraction du temps. Mais ce ne sont que des trucs passagers, au service d'une histoire décevante, et ensevelis sous un déluge visuel, à l'insistance plus soporifique qu'onirique."
(1) et c’est sans doute là l’explication d’un certain nombre de choses…
(2) Oui, je suis désolée, je n’ai pas été capable de voit autre chose que des acteurs en train de jouer le rôle de X, Y ou Z. Sauf pour Fisher, que j'ai trouvé excellent : ce petit fils à Papa se transforme au fur et à mesure du film en personnage plus riche, plus tendre, qui a fini par m'être très sympathique.
L’avis de B.
Après le très bon The Dark Knight, Christopher Nolan confirme son talent avec Inception. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas d’accord avec Céline et j’ai trouvé le film très bon, même s’il n’est pas totalement exempt de défauts.
Attention, cette critique dévoile des éléments clefs de l’histoire.
Avec Inception, Nolan s’exerce à un jeu périlleux qu’est le mélange les genres : heist movie (film de casse à la Ocean’s eleven), thriller, film d’action et science fiction. Pour ce dernier genre, on notera la parenté visuelle et thématique avec Matrix (réflexion sur le réel et sa perception, scènes d’action en apesanteur dans l’hôtel notamment).
Nolan s’en sort globalement assez bien même si l’on peut considérer que le film accorde un peu trop de temps aux scènes d’action (la scène de l’assaut de la forteresse enneigée traine en effet un peu en longueur et aurait notamment pu être raccourcie pour faire place à un peu plus de développements sur les éléments plus intéressants du scénario).
Nolan s’attaque ici au thème relativement classique des rêves et du rapport à la réalité. Contrairement à certains de ses prédécesseurs, il choisit toutefois une approche très cartésienne et réaliste. La distinction entre rêve et réalité est extrêmement ténue d’un point de vue visuel et c’est justement le ressort principal de son scénario qui mêle réflexion sur la notion de réel (suis-je en train de rêver ?) et l’autorise à un scénario à tiroir extrêmement habile et sophistiqué imbriquant différents niveaux de rêves/réalité. Autant le dire, ce scénario fonctionne à merveille et procure un plaisir intense ! C’est une mécanique parfaitement huilée qui, si elle n’a pas le temps ni l’envie de tout nous démontrer (ce serait démonstratif et barbant), sait faire juste ce qu’il faut d’ellipses afin d’assurer sa cohérence au film.
Ce dernier est dominé par certains thèmes récurrents : le labyrinthe et le paradoxe dont notamment le fait de tourner en rond (on voit là encore la sophistication du scénario et de la mise en scène qui se répondent via une trouvaille visuelle toute bête : la toupie qui tourne sur elle-même dans un mouvement perpétuel … ou pas).
Il est notamment excessivement intéressant de voir comment l’équipe s’y prend pour implanter une idée dans l’esprit de sa cible. Le processus de raffinage de l’idée pour en extraire la substantifique moelle et ensuite déterminer les vecteurs les plus efficaces d’un point de vue émotionnel pour son implantation est impressionnant. Le résultat, une manipulation via trois niveaux de réalité, est excessivement brillant.
A ce scénario sophistiqué est associée une mise en scène magistrale passant notamment par un montage excessivement efficace. Nolan exploite une trouvaille cinématographique formidable qu’est l’étirement du temps : plus on s’enfonce dans les strates du rêve, plus le temps ralentit. Le résultat, la longue scène d’implantation de l’idée (l’inception à proprement parler), est époustouflant. Cette image du van n’en finissant plus de tomber, associée à l’urgence absolue qui règne dans le niveau de rêve suivant (l’hôtel) dans laquelle s’imbrique une urgence plus diffuse dans la scène de l’attaque de la forteresse (c’est d’ailleurs peut être là que se trouve la raison de sa relative longueur) à enfin l’infini mortifère mais magnifique des limbes donne un entrelacs de réalité et de tension tout bonnement génial.
Ce que l’image et le montage montrait est renforcé par une utilisation habile de la musique qui ralentit et devient plus sourde à mesure que l’on s’enfonce dans les strates du subconscient de la cible, Fisher.
Il faut ajouter à cela une image et une photographie magnifique. Nolan a de beaux décors et sait les utiliser discrètement pour notamment attribuer à chaque degré de rêve sa propre esthétique et à chaque subconscient sa personnalité.
Enfin, Léonardo Di Caprio confirme lui aussi son immense talent d’acteur, dans un rôle proche de celui qu’il tenait dans l’excellent Shutter Island. Marion Cotillard s’illustre quant à elle dans un très beau rôle auquel elle donne exactement la touche nécessaire d’épouvante et de tendresse. Cillian Murphy qui joue Fisher, le jeune héritier, cible de l’inception est aussi excellent, commençant comme un glacial petit garçon riche antipathique au possible pour s’humaniser par degrés. Les seconds rôles enfin eux aussi très réussi avec une palme toute particulière à Helen Page qui s’illustre encore mais cette fois-ci dans un rôle totalement différent de celui de Juno.
Enfin, j’ai aimé la référence voire l’hommage à un immense chef d’œuvre du cinéma : Citizen Kane (tout de même élu plus grand film américain de tous les temps par l’American Film Institute). Citizen Kane est une enquête pour décrypter le sens des derniers mots d’un vieillard mourant ; Inception tend ici à l’inverse : obtenir qu’un mourant prononce les derniers mots que l’on souhaite lui faire dire. Pour les sceptiques, vous trouverez votre preuve dans le coffre fort à côté du père mourant : ce n’est pas le testament, nœud de l’inception, que Fisher sort de ce coffre : c’est le jouet avec lequel il jouait enfant… Rosebud disait Charles Foster Kane en mourant ; la marque du traineau avec lequel il jouait étant enfant lorsqu’il fut enlevé à ses parents pour devenir ce qu’il fut.
"Ce qu'on aime, ce qu'on déteste, ce que l'on cache au fond du coeur ou ce que l'on n'arrive pas à cacher, ce qui nous embarrasse, nous réjouit, des histoires du passé ou de l'avenir, la vérité ou n'importe quoi, tout est possible. On dit ce qu'on a envie de dire à ce moment là."
La narratrice est affligée d'un atroce mal de dos, qui l'oblige à se soumettre à des séances de torture, appelées 'séances d'étirements', et à faire de la natation (là, je compatis, parce que le sport, hein, ... bref...). Or, un jour, sortant de la piscine, elle est fascinée par une vieille femme, assise dans le vestiaire, d'apparence plus que commune. Poussée par une curiosité insatiable, elle commence à discuter avec cette dame, en lui posant plein de questions.
Quelques jours après, elle la recroise dans une allée de supermarché, accompagnée d'une de ses amies ; elle les suit, dans les rues, à travers un parc et une forêt profonde, pour aboutir à des barres d'immeubles abandonnées. Là, au sein d'une loge de gardien, se trouve un placard, la petite pièce à raconter, dont la vieille femme est la gardienne.
"La petite pièce à raconter paraissait tranquille et à l'aise. Il n'y avait pas cette tension palpable lorsque les gens attendaient leur tour pour raconter. Les parois tout juste frottées, fraîches, semblaient capable d'absorber autant de mots que nécessaire."
C'est un très beau court roman. L'image de cette pièce hexagonale, qui voyage de ville en ville pour aller là où les gens ont besoin d'elle, leur offrir son silence ouaté propice aux confidences, et le vide, l'épuisement qui en découle. Cette pièce est bien évidement une allégorie de la psychanalyse. D'ailleurs, les douleurs dorsales de la narratrice disparaissent dès qu'elle aborde sa séparation d'avec son compagnon. Mais cette allégorie est finement amenée, dans le style plein de poésie de Yoko Ogawa.
Les personnages sont également très beaux. Il y a la narratrice, et ses proches, des êtres perdus dans le quotidien, qui se débattent dans la réalité, la paëlla renversée, les rendez-vous loupés. Et il y a Midori, la vieille femme, et son fils Yuzuru, gardiens de la pièce, à la fois spectaculaires et invisibles : "L'impressionnante banalité qui émanait de son corps tout entier gommait son âge, ses goûts et sa personnalité, tous ces éléments qui permettent de juger une personne à la première rencontre."
C'est un récit très riche, qui me fait regretter de ne pas mieux connaître tous les mécanismes de la psychanalyse, afin de mieux l'apprécier. Tout semble avoir une signification cachée. Pourquoi cette pièce est hexagonale ? Est-ce pour mimer la forme d'un crayon, un autre instrument avec lequel poser nos pensées les plus profondes, comme le pense Wictoria ? Le fait que la rencontre se fasse dans une piscine a-t-il une signification ? Et les trajets dans le bois, à la recherche de Midori ?
C'est un roman qui me laisse avec beaucoup de questions, et sous le charme de son écriture poétique et imagée.
"She was going to live, she was going to emerge in spring as a dragon and take back her mastery of the skies. She would fly again. Somehow."
The Rain Wild Chronicle, dont The Dragon Keeper est le premier volume, est la suite des Aventuriers de la mer : nous avions laissé la dragonne Tintaglia au moment où elle conduisait les serpents des mers jusqu'au lieu de nidification pour y faire un cocon et se transformer en puissant dragon. Le prologue commence pile à ce moment là, quand Sisarqa, un de ces serpents, construit péniblement son cocon. Malheureusement, les serpents très âgés, arrivés au lieu de mue dans de mauvaises conditions physiques, ayant eu trop peu de temps pour se transformer, deviennent des dragons impotents, incapables de voler et plus ou moins difformes.
On suit également deux personnages féminins : Alise et Thymara, ainsi qu'un marin (sexy) Leftring. Alise est une jeune femme de Bingtown, passionnée par les dragons mais ayant effectué un très malheureux mariage à un homme riche mais qui ne l'aime pas ; Thymara ne devrait pas avoir vécu : issue du peuple déjà marqué des Rain Wilds, elle portait de si nombreux stigmates à sa naissance que la sage-femme l'avait condamné ; seul l'amour de son père l'a sauvée ; quant à Leftring, c'est un charmant (enfin, qui sent pas très bon des dessous de bras quand même) capitaine de liveship, avec un passé assez lourd, mais d'une gentillesse à toute épreuve.
Que dire ? J'ai adoré me retrouver dans l'univers de Robin Hobb. J'ai pris un immense plaisir à revoir passer des personnages familiers, Tintaglia, Althéa, ... L'histoire est très bien menée, et en particulier les moments dévoués aux dragons et à Sisarqa : j'ai eu vraiment l'impression d'un changement de point de vue, d'entrer dans l'esprit de ces prédateurs immenses et dangereux, aux souvenirs innombrables - mais débiles. C'était très périlleux, et je trouve que Robin Hobb s'en sort bien.
Les personnages humains sont moins réussis, je trouve. A l'exception de certains personnages secondaires (le père de Thymara, l'époux d'Alise et son secrétaire) qui ont une certaine originalité, ils se ressemblent tous plus ou moins (mais Robin Hobb crée toujours plus ou moins le même genre de personnage féminin, non ?).
Malgré ce défaut, The Dragon Keeper reste un très bon page-turner, qui plaira à coup sur aux amoureux de Robin Hobb !
Tadaaaaam ! Roulement de tambour, musique stridente, clair obscur avec deux yeux rouges vous fixant du fond des ténèbres … 22 vla l’vampire !
Un jeune avocat est convoqué par un mystérieux client en Transylvanie qui s’avère finalement être le terrible, l’affreux, le vachement pas gentil du tout Comte Dracula qui veut s’acheter une baraque à Londres et recherche la perle (un truc gothique, croulant, dans un endroit macabre, où que même les araignées elles ont peur d’y tisser leur toile – de toute façon elles pourraient pas elles en sont constipées du siphon à fil). Et là justement notre jeune avocat a trouvé la perle rare ! Une vieille masure que même la famille Adams ils en auraient pas voulu, avec une vieille chapelle en ruine, coincée entre un asile de fou et on sait pas trop quoi mais comme c’est Dracula on a peur quand même.
Je vous passe les détails, le jeune type se rend compte que le Comte est un peu bizarre, (dents et ongles pointus, poils sur la paume des mains, mange pas, noeil rouge, fait des trucs bizarre de temps en temps et tout et tout. Bon en même temps on l’avait prévenu, tout le monde dans les Carpates sait qu’il fait une sacré bourde et lui explique que ouais mais faut pas y aller mais lui il est droit, pur, fort et dedicated to work, client comes first etc.
Il réussit à s’échapper dès que le Comte est parti pour Londres. Il est à noter que la première partie est de très très loin la meilleure.
Là, on bascule chez la fiancée de l’avocat, Madam Mina, qu’est la femme parfaite, ménagère intelligente mais pas du tout indépendante, qu’elle apprend même par cœur les horaires de chemin de fer pour que si jamais son mari en a besoin un jour qu’elle peut même lui dire sans aller vérifier dans son bottin ! C’est pas beau ça ? ! C’est pas le rêve ? Bah si !
Alors en plus Madam Mina elle a une copine, Lucy Westenra, qu’est une belle vierge super pure, super blonde, trop mignonne et gentille et tout que c’en est à vomir (burp). Elle est tellement chouette qu’il y a 3 types qui veulent se marier avec elle ! Vous vous rendez compte ?! Elle en éconduit deux et garde le troisième qui a réussi à lui ravir son petit cœur tout mignon etc.
Bon le truc un peu plus fun c’est que les 3 soupirants sont amis d’enfance :
le docteur John Seward qui bosse dans un asile de fous et je vous le donne en mille … exactement celui qui jouxte la propriété de notre cher vieux Comte ! DINGUE !
un texan super viril et flegmatique, Quincey P. Morris ; et enfin
l’heureux élu, le formidablissimement perfectissime Arthur Holmwood himself ! Lord de son état. Applaudissements. Merci public.
Il est donc temps de continuer ce résumé. Bon je vous passe les détails, Dracula fait une entrée cataclysmique dans le royaume de her gracious majesty pile poile exactement dans la station balnéaire de M’dame Mina dont la copine commence à somnambuler ferme et devenir vachement pale avec ses deux p’tites marques de dents sur le coup.
Bon il sont quand même cons les personnages, y en a pas un qu’est fichu de repérer le vampire … A croire qu’ils connaissent pas Dracula les nazes ! Bref, le docteur Seward commence à s’inquiéter et appelle à la rescousse le savant, médecin, philosophe, alchimiste, je sais pas trop quoi mais il le fait quand même –iste : Van Helsing ! Tadam !
Débarque donc la masse de muscle, la bête, le chasseur de vampire ! Bon en fait c’est plutôt un petit gros la cinquantaine, moustachu avec un accent batave.
Bon, Van Helsing lui il percute tout de suite (il l’a lu le Dracula lui, l’est cultivé quand même) mais il veut pas trop le dire parce qu’il a peur qu’on le croit pas et tout. Là on commence la Vampire War (à coup de gousses d’ail, de pieux en bois dans le cœur, d’eau bénite, de crucifix et de winchester pour les loups).
Bon, il faut le dire : c’est NULLISSIME ! et c’est pour ça que c’est si BON !
Ce bouquin est énorme. C’est une catastrophe intersidérale : c’est verbeux, manichéen, les gentils sont super gentils, vertueux, ils se reconnaissent immédiatement à base de Ach Madam Mina j’ai lu vos lettre, je connais votre cœur il est bon et pur, voulez vous être mon amie pour la vie ? (je déconne pas c’est dans le livre). Les méchants sont vachement méchants, sans âme et tout (bah ouais c’est des vampires quand mêmes, faut suivre un peu). Les hommes sont zuper virils mais en même temps se jettent théâtralement à terre pour avouer leur admiration éperdue à Madame Mina qu’est quand même vachement maline et tout, la pureté, l’intelligence personnifiée avec des vrais morceaux de bravoure dedans, ils font des grandes professions de foi, se frappent le cœur de la main droite et jurent de sauver l’Amérique de l’envahisseur ! ah non désolé, je viens de me laisser emporter.
En fait ce qui est drôle c’est qu’on se croirait dans un film américain genre série B. Vous vous rappelez tous ces films de divertissement scientifico fantastiques à la Tim Burton (Sleepy Hollow, les frères Grim, les ligue des gentlemen extraordinaires, Wild Wild West etc.) avec une sorte de savant fou qui a des sortes de vilaines machines de partout avec des engrenages dans tous les coins ? Bah c’est tout tiré de Dracula. Je vous parie que les scénaristes d’Hollywood étudient Dracula en première année parce que c’est fondamentalement cinématographique et qu’on y retrouve tous les ingrédients du blockbuster divertissement de masse, l’humour en moins (enfin on rit beaucoup mais je ne suis pas sur que ce soit intentionnel de la part de l’auteur …). Il faut avouer qu’il y a quelques très beaux moments : mais pourquoi tout le monde me fait le signe du mauvais œil quand je vais chez Dracula ? Note : faut que je demande au Comte des éclaircissements sur cette superstition populaire. Et il le fait ce con ! Dites, Comte, pourquoi tout le monde m’a dit de pas aller chez vous ? J’en ris encore …
Bon et on apprend aussi plein de trucs rigolos : les vampires peuvent parfaitement se balader de jour mais ils ne peuvent alors pas changer de forme (transformation chauve-souris, loup, brouillard etc.), ne dorment pas nécessairement dans un cercueil mais surtout dans de la terre consacrée (en gros Dracula ne peut dormir que dans la terre de sa propre tombe qu’il fait venir dans des caisses depuis Transylvania Castle) etc. On a aussi droit aux superbes théories existentielles de Stoker : vampires are like criminals they are incomplete and their baby brain is limited to its own experience. Bah tiens…
C’est aussi franchement drôle de voir ce que les différents réalisateurs ont pu y piocher et monter en épingle lors de leurs différents films (la scène avec les trois vampiresses dans le Dracula de Copolla à peine ébauchée dans le livre et sublime dans le film, les ombres allongées dans le Nosferatu de Murnau).
Enfin, d’un point de vue littéraire, le roman est bien construit et mis en scène, il s’agit d’un mélange assez harmonieux entre journal intime, lettres etc. chacun émanant de chaque personnage, ce qui permet de diversifier les points de vue. C’est aussi amusant de voir cette intrigue fantastique prendre corps dans un monde très cartésien. Le style est catastrophique mais ça participe au plaisir de la lecture.
Enfin, ne vous inquiétez pas, vous n’aurez pas du tout peur (c’est largement plus proche du bal des vampires de Polanski que d’un film d’épouvante), mais qu’est-ce que vous allez rigoler !
Un navet rafraichissant !
NB : je précise que je n’aime pas les films ou la littérature d’horreur, les romans gotiques ou même le mythe du vampire.
"Le soleil se couchait dans un ciel sans nuage. Les eaux s'étendaient, colorées de rouge par la lumière mourante. La campagne s'étendait au loin, déjà assombrie et lugubre ; et, sur le bord du lac où tout jusqu'alors n'avait été que solitude, se tenait maintenant, debout, contemplant le soleil, une femme." Il y a ces moments où on découvre un auteur. Où on lit un roman, et on se dit : "celui là, je vais lire tout ce qu'il a écrit, c'est obligé." Ça m'a fait le coup avec Jane Austen (Orgueil et préjugés), Victor Hugo (Quatre-vingt treize), Joyce Carol Oates (Mère disparue), Doris Lessing (Les carnets de Jane Sommers), Balzac (Le père Goriot). Ça vient de me refaire le coup.
Et quand en plus c'est un auteur anglais, qui écrit des pavés, beaucoup de pavés, c'est l'extase ! Il parait que j'ai commencé par son chef d'oeuvre. C'est vrai, c'est que Armadale est un chef d'oeuvre de littérature victorienne, avec ce qu'il faut de fantastique pour semer le trouble, des histoires familiales compliquées, des amours anciennes pesant sur les amours actuelles. Le roman commence dans une ville d'eau, en Allemagne, où un père de famille, son épouse et son garçonnet, arrivent. Le père est mourant, et un autre voyageur est requis pour écrire sous sa dictée une dernière lettre à son fils. Dans cette lettre, le père révèle une complexe histoire de meurtres et de vengeances, de trahisons et de fuites sur les mers. Il révèle surtout que le fils de son pire ennemi porte le même nom que l'enfant : "Ne laissez jamais approcher de vous aucune créature vivante, touchant directement au meurtre que j'ai commis. Fuyez la veuve de l'homme que j'ai tué, si elle vit encore. Fuyez cette femme de chambre dont la main perverse a aplani les difficultés du mariage, si elle est encore à son service ; plus que tout, évitez l'homme qui porte le même nom que vous." Que croyez vous qu'il arriva ? Je m'arrête là, il faut découvrir la suite de cette intrigue merveilleusement victorienne... mais je dois quand même déclarer que Armadale contient le plus merveilleux personnage de garce (après Milady des Trois mousquetaires). Il faut lire ce roman rien que pour Miss Gwilt !
Je reprends les rênes, après les avoir confiées hier à B. et je poursuis mon glanage sur le web ...
So, what's new ?
Schlabaya reprend le flambeau et lance le 1% littéraire, édition 2011. Le principe est de lire 1% de la production de la rentrée littéraire de l'année, soit 7 romans cette année. J'avais été tentée l'année dernière, je le suis encore un peu cette année, mais ... je ne crois pas que je vais succomber. Je suis souvent tombée sur de mauvaises surprises en lisant les oeuvres de la "rentrée" que je m'abstiens désormais et je laisse le temops, et les autres lecteurs, plus audacieux, faire le tri.
Fattorius nous a dégoté un générateur aléatoire de couvertures, pour fêter la rentrée littéraire. En quelques secondes, ce site nous sort la couverture de notre futur roman : après ça, il ne reste plus qu'à l'écrire !
(elles sont vraiment jolies, en plus, les photos des couvertures... Le genre de photos qui me pousse à feuilleter un livre sur une pile de librairie ...)
Sinon, Amanda Meyre nous a écris un Harlequin bibliophile (ahhhh, les longues étreintes entre deux piles de bouquins ...) qui vaut vraiment le coup d'oeil ! (en revanche, le style d'excellente qualité d'Amanda nuit parfois à l'harlequinisme... N'est pas écrivain de navets qui veut !) Le tout en quatre parties, 1, 2, 3 et 4 !
Et George nous en rédige un, qui promet aussi beaucoup !
Lucile organise tous les vendredis une pêche aux mots : le vendredi, jour du poisson, elle donne un mot trouvé au hasard de ses lectures ; nous avons jusqu'au mardi pour essayer de trouver une définition, puis deux jours pour voter pour la meilleure définition. Le vendredi suivant, la vraie réponse !
On commence avec "garcette" ...
Antigone relance l'objectif PAL avec Objectif PAL, le retour : il s'agit de lire un livre de sa PAL tous les mois. J'avoue que ma participation l'an dernier n'avait pas été un grand succès, j'hésite donc à y participer. D'autant plus que je pense entamer des grandes mesures PALesques prochainement dont je vous parlerai en Septembre...
Jelydragon lance un Challenge Histoire : il s'agit de lire le plus de roman historiques possibles avant le 1 Septembre 2011 (et le vainqueur recevra un cadeau ...). Je ne m'inscris pas (trop de challenges ... et j'ai un peu perdu l'habitude des romans historiques), mais je souhaite bonne chance à tous les participants !
Une video, trouvée par Lulu m'a beaucoup touchée... Elle raconte l'histoire d'un livre, au cours d'une année, avec ses moments de gloires et ses moments de chute...
A part ça, Maggie visite la maison de Victor Hugo, CritikParis fait le tour des toilettes parisiennes, Deedee propose un petit guide des bonnes adresses parisienne, Sébastien salive en découvrant une anthologie de la Cuisine des écrivains et Feanor compare les affiches de films...
Attention ceci n’est pas un hold-up mais un squat littéraire totalement assumé mais heureusement accepté, pour le meilleur et, espérez-vous, pas pour le pire !
Je souhaite commencer ma modeste contribution à ce blog par une déclaration d’amour à un homme … (je laisse la charmante bloggeuse que vous êtes habitués à lire m’étrangler, me découper en morceau, me farcir puis ensuite me faire cuire au court bouillon pour finalement me servir comme pâtée au chat avant de reprendre cet article).
Ayant tant bien que mal réussi à rassembler le nécessaire pour continuer à triturer mon clavier et profitant d’une période d’accalmie, je déclare solennellement mon amour et mon admiration éperdue à Julien Gracq.
Je veux en effet ici parler du Livre, celui qui trône en maître dans ma bibliothèque depuis déjà plusieurs années : Le rivage des Syrtes.
Que dire de ce chef d’œuvre ? Par où commencer ? Par le début me direz-vous ? humm … pas con !
Aldo est le rejeton de l’une des plus vieilles familles de la cité état d’Orsenna (une sorte de Venise ayant perduré jusque dans les années 20/30, assise confortablement sur le trône décrépit de son pouvoir, de sa richesse et de sa splendeur passée). Orsenna est comme ces vieilles femmes qui n’ont pas encore compris que le passage des ans leur avait ôté leurs charmes et leur pouvoir d’attraction.
Aldo donc entre dans l’armée et demande à la surprise de tous son affectation dans la province reculée des Syrtes, lieu mort dans lequel rien ne se passe mais qui continue de surveiller depuis 300 ans la mer au-delà de laquelle se trouve le mythique Farghestan, pays avec lequel Orsenna était à l’époque en guerre mais avec lequel plus aucun contact n’a été noué depuis lors.
Ce roman est celui de l’attente, l’attente d’un sens, l’attente de la mort, l’attente de la déchéance dans l’atmosphère de décrépitude raffinée et magnifique d’Orsenna et des ruines de sa splendeur passée. Le quotidien de la garnison est pesant, comme si tout était écrasé par une chaleur incroyable. Pendant tout ce temps Aldo reste les yeux braqués sur l’horizon, sur l’inconnu, sur le danger, sur le Farghestan.
« Les plaisirs perdus d'Orsenna me laissaient sans regrets…Cette vie dénudée s'offrait clairement, dans l'évidence de son inutilité même, à quelque chose qui fût digne de la prendre… Je rivais mes yeux à cette mer vide, où chaque vague, en glissant sans bruit comme une langue, semblait s'obstiner à creuser encore l'absence de toute trace, dans le geste toujours inachevé de l'effacement pur… Je rêvais d'une voile naissant du vide de la mer. »
Il est attiré par Vanessa, elle aussi fille d’une vieille famille d’Orsenna dont le père a été exilé pour une sombre affaire de complot. Vanessa partage avec son père cette vigueur et cette volonté de secouer la poussière mortifère d’Orsenna. Vous aurez compris que cette attirance pour Vanessa est un symbole de l’attirance d’Aldo pour le danger, pour quelque chose qui secoue enfin ce mol endormissement qui précède la mort d’Orsenna.
« Les choses, à Vanessa, étaient perméables. D'un geste ou d'une inflexion de voix merveilleusement aisée, et pourtant imprévisible, comme s'agrippe infaillible le mot d'un poète, elle s'en saisissait avec la même violence amoureuse et intimement consentie qu'un chef dont la main magnétise une foule.
Je l'aimais en silence, sans souhaiter qu'elle me devînt plus proche, et comme si sa main pensive et immatérielle n'eût été faite que pour ordonner dans un lointain indéfiniment approfondi la perspective de mes songes … Vanessa desséchait tous mes plaisirs, et m'éveillait à un subtil désenchantement; elle m'ouvrait des déserts, et ces déserts gagnaient par tâches et par plaques comme une lèpre insidieuse. »
Il se ne passe rien dans ce livre mais l’atmosphère créée par le style incomparable de Gracq est à nul autre pareil. Chaque mot, chaque phrase est un bijou de langue française, à mi chemin entre la prose et la poésie. J’ai lu avec fascination et une délectation absolue ce roman envoutant qui reste encore aujourd’hui pour moi ma plus intense expérience littéraire.
C’est un roman exigeant, le style de Gracq est riche mais sa proximité avec la poésie en rend la lecture particulière. Si chaque phrase est délectable, ne vous attendez pas à lire ce roman comme un roman de gare. Bienvenue dans une littérature élitiste, jouissive et exigeante. Quelle récompense toutefois ! Cet aspect est encore renforcé par la splendide édition chez Corti, les pages en beau papier épais qu’il faut découper pour les découvrir (Note : Gracq n’est pas édité en poche).
Pour finir, il est souvent indiqué que le Rivage serait une réécriture du Désert des Tartares de Dino Buzzati. S’il est exact que les deux romans mettent en scène un jeune homme envoyé dans une forteresse d’une province reculée faisant face à une frontière morte derrière laquelle gis un danger ancien mais pourtant palpable, le roman de Gracq est l’exact opposé de celui de Buzzati. Aldo est fasciné par ce danger mais au lieu de rester à le contempler, il ose aller à sa rencontre, avec grandeur il ose offrir son sein au glaive qui le transpercera.
"Usé peu à peu sur tous ces amusemens frivoles, mon coeur perdoit insensiblement son premiér ressort et devenoit incapable de chaleur et de force ; j'errois avec inquiétude d'un plaisir à l'autre ; je recherchois tout et je m'ennuyois de tout ; je ne me plaisois qu'où je n'étois pas, et m'étourdissois pour m'amuser." (je guarde l'orthographe fantaisiste de mon livre, assez pénible je l'avoue).
L'Émileracontait l'éducation d'un jeune garçon en suivant des principes rousseauistes : il faut chercher à développer la nature de l'enfant, foncièrement bonne et juste ; les dépravations ne sont dues qu'à la corruption de la société. Cet ouvrage, bien plus philosophique que pédagogique, se terminait sur le mariage d'Émileavec une jeune femme ayant reçu la même éducation, Sophie, et la naissance de leur premier enfant.
Peu après, l'éducateur quittait le couple heureux. Émileet Sophie est constitué de deux lettres que lui écritÉmile. Les principes reçus parÉmileet Sophie leur permettront-ils de rester heureux dans leur vie future ?
Non.
Car ces idiots (etÉmilele dit souvent) décident de partir à Paris, la ville, lieu de perditions où les pratiques sociales éloignent l'Homme de la Nature. Là bas, la passion amoureuse d'Émilese refroidit ; Sophie gagne de mauvaises fréquentations : bref, la jeune femme trompe son époux et tombe enceinte d'un bâtard.
Émile décide, après moultes tergiversations, de quitter Sophie et de lui laisser la garde des enfants qu'ils ont eu ensemble. Il part sur les routes, exerçant le métier que son maître a pris soin de lui apprendre, et menant une vie heureuse de vagabond. Là encore, les enseignements de sa jeunesse lui sont bien utiles (comme il le répète à peu près trois fois par page) lui permettant d'exercer tous les métiers, de ne jamais se fâcher, d'être aimé de tous.
Arrivé à Marseille, il décide de prendre un bateau pour aller jusqu'à Naples. Las ! le bateau est attaqué par des pirates ! Tous les passagers sont faits prisonniers et vendus à Alger (histoire de rajouter un petit peu d'exotisme ...). Là encore, Émile puise dans sa morale et y trouve du réconfort. Car "Soumis par ma naissance aux passions humaines, que leur joug me soit imposé par un autre ou par moi, ne faut-il pas toujours le porter, et qui sait de quelle part il me sera plus supportable ?".
Là encore, son bon naturel, sa justice et son bon sens le font aimer des gens, et il finit par être libéré.
Heureusement, le roman épistolaire est inachevé, et ça s'arrête là. Ouf !
Bon, faut être honnête, malgré tout le bien que je pense (ou j'ai pensé) de Rousseau, c'est mauvais. Oui, franchement. Je ne m'attendais pas à lire un bon roman, mais là, ça dépasse un peu les bornes de niaiserie et de lourdeur stylistique et philosophique. Rousseau a décidé de nous montrer l'excellence, non de sa méthode d'éducation, mais de sa philosophie : l'Homme est bon par nature, et corrompu par la société. Il place donc ses deux cobayes dans la société, et bam ! ils sont corrompus ! En revanche, quand il les en sort et qu'il les place en province (ça devait être plus ou moins l'équivalent de la jungle sauvage pour Rousseau), son excellente éducation permet à Emile de s'en sortir.
Ouf. On avait eu peur pour ce détestable personnage...
Plus démonstratif, on ne trouve pas ; plus ennuyeux non plus : j'aime généralement suivre les tergiversations des héros (Ahhhhh, les pages où Hugo décrit les atermoiements de Jean Valjean dans Les Misérables ...), mais là, les 3-4 pages où cet imbécile d'Émilese demande si il va quitter ou non sa Sophie (il finit par le quitter pour "être digne d'elle" - no comment ...) m'ont semblées très très très longues. Et ça manque singulièrement d'humour, de légéreté, de second degré !
"Je vois encore cette silhouette lividement propre, pitoyablement respectable, incurablement abandonnée ! C'était Bartleby."
Ce tout petit roman raconte l'histoire de Bartleby. Le narrateur est un homme de loi : or, à New-York en 1850, l'une des tâches les plus importantes de ces bureaux étaient de copier maintes et maintes fois des actes notariés. Il a donc deux employés, deux scribes, Dindon, efficace le matin et excité l'après midi et Lagrinche, colérique le matin, mais doux comme un agneau l'après midi.
Comme sa charge de travail augmente, il ressent le besoin d'un scribe supplémentaire : il embauche Bartleby.
Dès le début, il se prend d'affection pour le jeune homme calme et silencieux. Il l'installe dans son propre bureau, derrière un paravent, et l'entoure de beaucoup de prévenances. Le scribe commence à travailler, vite, efficacement, et silencieusement.
Mais quand son patron lui demande de venir collationner (comparer la copie et l'original), il répond un laconique "J'aimerais mieux pas". Quand on lui demande une course rapide à la poste, il répond "J'aimerais mieux pas". Et au bout de quelques semaines, quand on lui donne une copie à faire, il répond "J'aimerais mieux pas."
"Il vit donc de biscuits au gingembre, pensais-je ; il ne prend jamais, à proprement parler, de déjeuner ; il doit donc être végétarien ; mais non, il ne mange même pas de légumes ; il ne mange que des biscuits au gingembre. Mon esprit se perdit alors en rêveries au sujet des effets problables qu'une alimentation consistant exclusivement de biscuits au gingembre pouvait avoir sur la constitution humaine."
J'ai adoré ce très court roman, merveilleusement caustique et drôle ; les descriptions sont très parlantes ; en quelques mots, Melville dresse des personnages devant nos yeux, des situations improbables. Il y a un côté burlesque dans la description de ses deux scribes, Dindon et Lagrinche, dans les dialogues entre eux. Et petit à petit, touche par touche, une grande humanité et une immense tristesse nait. La solitude de Bartleby, d'abord loufoque, devient dramatique.
" - Pour l'instant, je préfèrerais ne pas être un peu raisonnable', fut sa réponse suavement cadavérique."
PS : je viens de lire la page wikipédia consacrée à ce roman, et je regrette déjà de ne pas l'avoir lu en anglais. "I would prefer not to" sonne délicieusement à mes oreilles...