J’ai donc enfin vu Shutter Island !
Je ne vais pas refaire le synopsis, puisqu’il est très fidèlement adapté du livre Shutter Island de Denis Lehane, dont j’ai fait la critique ici. Je vais plutôt m’attacher à voir comment Scorcese a adapté un tel roman. Attention, des petits spoils risquent de se retrouver un peu partout …
J’ai beaucoup aimé cette adaptation, très fidèle à quelques détails près. C’est une mise en image du livre quasi parfaite et les quelques omissions ne sont pas vraiment gênantes. On retrouve les principaux points d’ancrage du récit, le voyage en bateau, l’arrivée, l’enquête, la tempête, le cimetière … Le seul point qui m’a mise mal à l’aise, c’est l’adaptation des rêves de Teddy. Je suis bien consciente qu’il est très difficile de mettre en images des rêves et des souvenirs, et c’était à mon avis la plus grande difficulté du film. Dans l’ensemble, Scorcese s’en sort plutôt bien, arrivant à représenter le trouble et les souvenirs du héros, mais pourquoi avoir choisi de changer les rêves ? Qu’est devenu le récit de la dernière matinée ensemble de Teddy et de Dolorès ? Certes, on adapte pas 300 ou 400 pages en deux heures de cinéma sans couper des passages, mais cette scène me semblait importante dans la construction du récit et je regrette son absence.
En revanche, je trouve les reconstitutions de la libération des camps me semble trop appuyée par rapport à ce qu’elle était dans le roman. Ces souvenirs devraient surtour serveir à expliquer le traumatisme de Teddy, et pourquoi l’idée d’expérimentation sur des êtres humains lui fait encore plus horreur qu’à n’importe qui. Je trouve que Scorcese nous en sert un tout petit peu trop, et de manière un peu trop élégante : ces corps figés dans la glace prennent une beauté irréelle, alors que ce n’est pas du tout l’image qui m’est venue aux yeux en lisant « libération du camp de Dachau » dans le livre. En fait, pour tout dire, ça m’a rappelé la traversée du marais par Frodo, Sam et Gollum dans Les deux Tours, vous savez, ces cadavres de d'une bataille très ancienne, qui flottent encore entre deux eaux, que j’avais trouvé étrangement beaux à l’époque.
Voilà sur le fond, quasi parfait. Sur la forme, maintenant. Scorcese parvient tout à fait à nous faire entrer dans l’angoisse de plus en plus perceptible de ce thriller. La météo (merveilleuse scène de tempête !) bien sûr, y contribue, mais pas que. Les contrastes sont de plus en plus marqués, les scènes de plus en plus sombres, les cadrages de plus en plus resserrés, jusqu’à l’exploration du fameux WardC, stressante à souhait.
En revanche, Scorcese a voulu jouer de la bande son pour faire monter la pression, et je trouve qu’il y est allé un peu trop fort : la musique est grandiloquente, forte, très forte, trop forte car elle couvre presque parfois les voix des personnages. A mon oreille avertie, elle dévoile presque la fin dès l’entrée dans l’établissement ; à l’oreille non avertie de mon voisin de ciné « non, pas du tout, qu’est ce que tu lui trouves à cette musique ? ». Seulement qu’utiliser la musique pour faire passer des émotions est un moyen trop commode, et un peu éculé, d’autant plus que le visage ravagé de di Caprio en dit déjà beaucoup.
Ahhh, les acteurs, merveilleux acteurs. Di Caprio est très bon, comme toujours. Son désespoir lorsqu’il sert dans ses bras une Dolorès en cendre m’a profondément touchée. Il montre tout, la violence contenue, le chagrin, une haine rentrée envers les hommes, le manque de Dolorès. Il représente parfaitement le personnage tragique qu’est Teddy. Et la « scène finale », au bord du lac, m’a bouleversée…
Mais celui qui m’a aussi impressionné - et dont pas grand monde ne parle, c’est Chuck Aule. C'est un personnage très important, car c'est grâce à lui qu'on croit à l'histoire. Denis Lehane le présente comme appartenant à cette sorte d’homme immensément sympathiques dès qu’on les rencontre, et à qui ont fait tout de suite confiance. Pas facile à jouer ! Et pourtant, Mark Ruffalo y arrive très bien. C’est le parfait commissaire, la tête sur les épaules, franc, ouvert, pas forcément très malin, mais à avec qui on se sent tout de suite à l'aise.
En conclusion, je trouve que ce film est une très belle adaptation du roman. Elle en possède les qualités, les quelques défauts qu'on peut lui trouver. Un petit reproche ? Les rares libertés prises par rapport au livre ne sont pas forcément nécessaires. Au contraire, elles ont tendance à alourdir un récit déjà écrasant.
Film vu (pour le plaisir !) et dans le cadre du défi Lunettes noires sur page blanche.