Dans l’histoire de l’humanité (que je vais ici réduire à celle de l’Europe, la quasi-totalité des études étant faite sur cette partie du Monde), de nombreuses cultures se sont succédées : les fermiers du néolithique prennent la place des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, eux même remplacés par d’autres cultures. Arrivent ensuite les Indo-européens, à l’origine des grecs par-ci, des italiques et des romains par là, des celtes à un autre endroit, chacun arrivant en plusieurs vagues.
Mais que se passe-t-il exactement ? La population initiale disparait-elle au profit des envahisseurs ? Ou seuls quelques individus, apportant avec eux les innovations qui permettront de définir la nouvelle culture, s’intègrent à une société déjà formée, modifiant profondément les us et coutumes, mais ne touchant pas ou presque pas à la diversité génétique ?
Trois études presque simultanées s’intéressent à cette transition entre deux cultures. Celle de Silvia Guimaraes, du laboratoire de David Caramelli, porte sur les relations génétiques entre les étrusques et les populations actuelles et médivales de toscans ; les deux suivantes portent sur la transition entre les chasseurs-cueilleurs du paléolithique et les fermiers du néolithique. Celle de Barbara Bramanti, du laboratoire de Joachim Burger s’intéresse à des populations d’Europe centrale et celle d’Helena Malmström, du laboratoire d’Eske Willerslev, porte sur les chasseurs-cueilleurs scandinaves de la culture du Pitted Ware (PWC) et les fermiers néolithiques appartenant à la Culture de Trichterbecher (TRB).
De manière intéressante, les chasseurs cueilleurs du PWC apparaissent relativement tardivement, il y a environ 5 300 ans, après l’arrivée des fermiers du TRB, et disparaissent environ 1 000 ans plus tard. Trois hypothèses pourraient expliquer leur origine :
- ils pourraient venir des populations mésolithiques (entre le paléolithique et le néolithique) européennes, chassées par les populations néolithiques, ce qui les rendraient génétiquement différents des scandinaves actuels, qui seraient alors semblables aux fermiers du TRB.
- ils pourraient être les ancêtres des Saami, également appelés Lapons, qui vivent actuellement au nord de la Scandinavie.
- ou ils pourraient tout simplement être des fermiers du TRB revenus à la chasse et à la cueillette.
Dans son étude, Helena Malmström a extrait l’ADN de 22 squelettes dont 3 membres des fermiers du TRB et 19 chasseurs-cueilleurs du PWC. Elle a séquencé une fraction du génome mitochondrial (une partie du génome transmise uniquement par la mère – sauf dans la famille royale anglaise, mais c’est une autre histoire). La partie qu’elle a choisie est appelée hypervariable car elle mute tellement vite qu’elle permet de différencier des populations au sein d’une même espèce.
Les haplotypes (c'est-à-dire les séquences) qu’elle a trouvé chez les chasseurs-cueilleurs du PWC sont U4/H1b, U5 et U5a ; ces haplotypes sont très rares actuellement, que ce soit chez les Scandinaves ou chez les Saamis ; en revanche, d’autres études ont montré qu’il y avait de fortes chances pour que l’haplogroupe U, et en particulier l’haplotype U5, soit celui que possédaient les populations pré-Néolithique de l’Europe. Il est encore assez présent dans les populations actuelles des rives orientales de la Baltique.
Et en ce qui concerne les fermiers du TRB ? Les trois individus ont des haplotypes encore présent en Scandinavie et aucun ne porte une séquence appartenant à l’haplogroupe U. Ils ne seraient donc pas apparentés aux chasseurs cueilleurs du PWC, et pourraient être les ancêtres des Scandinaves actuels, bien que le faible nombre d’individus séquencés empêche toute analyse statistique.
Qu’en conclure ? Primo, qu’il est très peu probable que la population de chasseurs cueilleurs du PWC soit à l’origine des populations scandinaves et Saamis actuelle. Et que secundo, en revanche, elle est apparentée aux populations non scandinaves de la Baltique. Et que donc, en Scandinavie, on se retrouve face à un remplacement de la population mésolithique par d’autres populations.
Barbara Bramanti trouve des résultats équivalentes : elle compare des séquences obtenues chez les derniers chasseurs-cueilleurs européens, les premiers fermiers (âgés de 7 500 ans) et les populations modernes. Et ses résultats montrent que ces trois populations sont génétiquement très différentes. Là encore, l’haplogroupe U est sur-représenté dans les populations mésolithiques de chasseurs-cueilleurs. En revanche, la diversité est beaucoup plus grande pour les populations plus récentes néolithiques (âgées d’environ 3 200 ans). Plusieurs haplogroupes sont représentés, et l’haplogroupe U est minoritaire.
L’analyse de Silvia Guimaraes sur les étrusques apporte des résultats à peu près semblables. Elle a extrait l’ADN de toscans du Moyen-Âge et d’étrusques de l’Antiquité, a séquencé la même région hypervariable de l’ADN mitochondrial et elle a comparé ses résultats avec des séquences analogues de toscans actuels, provenant de Murlo, Volterra et Casentino.
Ses analyses montrent les toscans contemporains et médiévaux sont très proches génétiquement ; en revanche, les étrusques forment une branche différente, sans relation génétique avec les toscans. Là encore, le modèle permettant d’expliquer ces résultats est celui d’un profond bouleversement démographique, il y a environ 1 000 ans.
Que conclure de ces trois études ? Que pour chaque région, ou époque étudiée, le remplacement de population plus que la continuité génétique, semble être la règle. Que les populations humaines bougent, beaucoup, souvent et en masse. Qu’il est présomptueux de supposer que la signature génétique actuelle dans une région reflète celle du passé.
Pourtant, cette attitude semble être la règle dans beaucoup d’études génétiques sur des échantillons anciens.
Ainsi, par exemple, dans une étude de 2005, publiée dans Science, portant sur des séquences obtenue sur les premiers fermiers européens, âgés de 7 500 ans, Haak et collaborateurs montraient que ces séquences s’éloignaient fortement des haplotypes actuels des européens. Cela ne peux plus nous étonner, nous voici donc sans doute face à un n-ième phénomène de remplacement génétique. Mais qu’en concluait Haak ? « these first Neolithic farmers did not have a strong genetic influence on modern European female lineages. Our finding lends weight to a proposed Paleolithic ancestry for modern Europeans. » Que si les premiers fermiers n’étaient pas les ancêtres des européens actuels, c’est que ces ancêtres étaient donc forcément les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique ! Et niait au passage 7 500 ans d’histoire démographique, de déplacements de populations, d’invasions, de migrations et toute l’influence que ces phénomènes ont pu avoir sur le génome des européens.
Par ailleurs, revenons à notre vieille question : Néandertal et Cro-Magnon ont-ils échangés des gènes ? Et si oui, l’hybride ainsi obtenu est-il à l’origine des européens actuels ?
La seconde question semble avoir beaucoup moins de sens après les deux études que nous venons de voir : non, vraisemblablement. Si hybride il y a eu, les séquences néandertaliennes ont probablement été diluées dans les séquences apportées par les migrations néolithiques, indo-européennes et tutti quanti.
Mais comment cherche-t-on à répondre à la première de ces questions et à mettre en évidence cette hybridation ? En comparant les séquences néandertaliennes, âgées de plus de 30 000 ans aux séquences d’européens actuels, que nous assimilons aux séquences portées par les hommes modernes de la préhistoire. Or nous avons vu à quel point cette méthode d’analyse était peu pertinente. Jamais nous ne trouverons de preuve de cette hybridation, puisque les européens actuels ne peuvent en garder trace dans leur génome !
L’étude la plus pertinente dans ce cas ne serait pas de séquencer le génome de Néandertal et d’obtenir une information que l’on ne peut comparer à rien, comme ce qui est fait, mais bien d’accumuler des données génétique sur les Homo sapiens contemporains de l’Homme de Néandertal, les Hommes de Cro-Magnon, qui sont encore presqu’inconnus.
Les sources :
Guimaraes S, Ghirotto S, Benazzo A, Milani L, Lari M, Pilli E, Pecchioli E, Mallegni F, Lippi B, Bertoldi F, Gelichi S, Casoli A, Belle EM, Caramelli D, Barbujani G. Genealogical discontinuities among Etruscan, Medieval, and contemporary Tuscans Mol Biol Evol. 2009 Sep;26(9):2157-66. Epub 2009 Jul 1.
Malmström H, Gilbert MT, Thomas MG, Brandström M, Storå J, Molnar P, Andersen PK, Bendixen C, Holmlund G, Götherström A, Willerslev E. Ancient DNA reveals lack of continuity between neolithic hunter-gatherers and contemporary Scandinavians. Curr Biol. 2009 Nov 3;19(20):1758-62. Epub 2009 Sep 24.
Bramanti B, Thomas MG, Haak W, Unterlaender M, Jores P, Tambets K, Antanaitis-Jacobs I, Haidle MN, Jankauskas R, Kind CJ, Lueth F, Terberger T, Hiller J, Matsumura S, Forster P, Burger J. Genetic discontinuity between local hunter-gatherers and central Europe's first farmers. Science. 2009 Oct 2;326(5949):137-40. Epub 2009 Sep 3
Haak W, Forster P, Bramanti B, Matsumura S, Brandt G, Tänzer M, Villems R, Renfrew C, Gronenborn D, Alt KW, Burger J. Ancient DNA from the first European farmers in 7500-year-old Neolithic sites. Science. 2005 Nov 11;310(5750):1016-8.