J'ai parfois l'impression d'être la dernière personne à découvrir cette mini-série. Bon, j'avoue, Maggie l'a découverte peu de temps avant moi ! Pourtant, ce n'était pas faute d'être conseillée par diverses personnes "Toi qui aime tant les period drama/Gaskell/Zola/le roman North and South, il FAUT que tu vois cette mini-série!" ou "Nan, nan, nan, tu peux pas dire que Colin Firth en Darcy est le sexiest man on Earth. C'est réservé à Richard Armitage en Thornton...".
Mais voilà, j'ai l'esprit de contradiction. Plus on me disait que North and South était une adaptation merveilleuse, plus je regardais Wives and daughters1, et plus on me chantait les louanges de Thornton, plus je succombais sur Darcy.
Sauf qu'un froid soir de Novembre, avec une amie à qui j'avais déjà fait découvrir Jane Eyre, on errait désespérement en quête d'une nouvelle mini-série. Mes yeux sont tombés sur le DVD soigneusement empaqueté de North and South : "On m'a dit que c'était très bien. Et que l'acteur était craquant... Mais bon, après Rochester, ça va être difficile quand même". On a dépaqueté le DVD, on l'a glissé dans la fente.
Il était 21h.
Quatre heures plus tard, conquises, on couinait comme des souris, et on hésitait sérieusement à se faire une nuit blanche pour le regarder une fois supplémentaire.
J'aime beaucoup Elizabeth Gaskell et ses romans. Ce sont des chroniques de la vie quotidienne, un peu moins spirituelles que celles d'Austen, mais tout aussi confortables et chaleureuses, voire plus. Mrs Gaskell était mariée et était mère, et cela se sent dans le tendre bon sens qui parsème ses romans.
Mais des romans que j'ai lus de cette auteur, North and South est sans doute le moins "confortable". Il y a du Zola dans la description de cette ville ouvrière, pauvre et des antogonismes entre patrons et ouvriers. Sans donner de leçons de morale, sans "gentils ouvriers" et "méchants patrons" (ou l'inverse, d'ailleurs) Gaskell expose la complexité des relations de travail et de la lutte des classes.
C'est à travers les yeux de Miss Margaret Hale (le "Sud") que l'on découvre tout cela. Margaret est la fille d'un pasteur, du sud campagnard et doux de l'Angleterre. Mais son père se sent obligé de démissioner de son poste, et part avec toute sa famille exercer le métier de professeur dans une ville industrielle du nord de l'Angleterre, Milton. Là, Margaret va découvrir la rude condition des ouvriers, et en garder une rancune tenace envers Mr Thornton (le "Nord"), ami et premier élève de son père, et également patron de l'une des entreprises. Thornton, quant à lui, va très vite succomber au charme de Miss Hale, malgré la froideur et le snobisme de la jeune fille. Mais Mrs Thornton, la mère redoutable de Thornton, veille et voit d'un très mauvais oeil l'attraction qu'exerce sur son fils cette jeune fille sans argent - l'excellente éducation de Margaret et le statut d'érudit de son père n'ayant aucune attraction sur cette femme.
J'ai vraiment beaucoup aimé l'adaptation qui est faite de cette histoire. Les libertés qui ont été prises avec le roman (la "première rencontre", par exemple, est légèrement plus brutale #euphémisme) améliore l'efficacité du roman et se justifient par la très grande richesse du roman, qui n'est pas forcément facile à adapter en quatre petites heures. Ce que j'apprécie, c'est que les aspects les plus sociaux du roman ne sont pas passés à la trappe pour favoriser la romance. Les difficultés de vie des ouvriers sont très bien montrées, comme le travail de titan de Thornton pour maintenir son usine à flot.
Les ouvriers sont représentés par la famille Higgins (et Boucher, mais de manière plus anecdotique). Nicholas Higgins, le père (joué par Brendan Coyle qui est Bates dans Downton Abbey et qui est infiniment meilleur ici) est un bon ouvrier, bon travailleur, bon père de famille, syndicaliste et impliqué pour que les ouvriers retrouve leur paie d'avant la baisse de 5 shillings consentie quelques années auparavant. Sa fille, Bessie, amie de Margaret, est d'une santé fragile, atteinte par une toux persistante due à la poussière de coton.
C'est Thornton qui représente les patrons et il est souvent dit qu'il n'est pas le pire. Mais ce n'est pas par pure bonté d'âme qu'il s'intéresse à la santé de ses ouvriers : un travailleur en bonne santé travaille mieux, est moins souvent absent et est plus rentable. Sa dureté apparente est cependant compensée par un coeur tendre avec les gens qu'il aime : Margaret, au bout d'un moment, mais surtout avec sa mère. C'est l'une des plus belles relations mère-fils de la littérature, chacun laissant tomber sa froideur et son côté cassant pour témoigner d'une véritable affection, à coeur ouvert. Je crois que les scènes où John discute de son amour pour Margaret avec sa mère sont mes préférées.
Il faut dire que l'actrice (Sinéad Cusack) qui joue la mère est parfaite : son accent, ses traits arrivent à témoigner de son mépris absolu pour Margaret, son mépris modéré pour Mr Hale (un brave homme, mais étudier de latin, quelle idée !), et son amour farouche pour son fils.
Margaret Hale (Daniela Denby-Ashe) est aussi très bien représentée. Elle s'éloigne certes peut-être de la froideur naturelle du personnage de roman, mais arrive parfaitement à témoigner du sentiment de décalage qu'elle connait, elle, jeune fille du sud civilisé, habituée aux manières raffinées des salons londoniens, en se retrouvant au milieu de ces barbares d'hommes du nord, uniquement intéressés par l'argent et le profit. Elle se sent plus à l'aise chez les ouvriers qui, malgré leur côté rustre, ont un plus grand coeur.
Mais la véritable star de cette mini-série, c'est Thornton, joué par Richard Armitage. Son personnage n'est cependant pas des plus faciles à jouer : il est pétri de contradictions et n'est pas fondementalement sympathique2. Son côté colérique et emporté, son entêtement, sa capacité à prendre tout ce que fait Margaret du mauvais côté3, le rendent très agaçant. Mais il sait adoucir son regard quand il regarde les femmes qu'il aime. Mais il est juste et droit quand il le faut. Mais Richard Armitage, avec son jeu excessivement fin (la scène où il regarde Margaret s'éloigner "Look back at me. Look at me" est juste parfaite. On lit dans son regard tout ce qu'il ressent), avec sa prestance, lui donne une complexité intérieure qui ne donne qu'une envie : mieux le connaître - surtout plus intimement.
Vous savez, cette scène dans P&P 95, où Darcy regarder Lizzie jouer du piano, chez Lady de Burgh, avec Fitzwilliam à côté, ce regard qu'il porte sur elle, plein d'amour et en même temps un peu bousculé par l'humour qu'elle exerce à ses dépend ? Armitage joue un Thornton qui lui ressemble.
Et je ne vous ai pas parlé de la beauté des images, du coton qui flotte dans l'usine, des scènes d'intérieur ; de la beauté de la musique qui donne tout son souffle à la série ; de la construction. On sent par moment que les décors sont un peu cheap, que les mises au point ne sont pas parfaites. Certains acteurs ne sont pas au niveau (la soeur de Thornton surjoue beaucoup trop). Mais c'est justement à partir de cette série qui devait être à bas coût et très oubliable qu'est née un film mythique. Et ça, chapeau.
1 Je maintiens que cette adaptation est une petite merveille de chaussons de Noël à enfiler quand il fait gris et froid dehors. Et puis, le Austen's boy est un scientifique, qui plus est un naturaliste darwiniste, et ça, ça ne peut que faire battre mon petit coeur.
2 spoiler : la première fois qu'on le voit, il est quand même en train de tabasser un ouvrier à terre. Certes, il est très sexy. Mais c'est pas très sympathique.
3 bon, en même temps, elle le lui rend bien...