L'avis de Céline
J'ai eu le bonheur d'assister lundi dernier à une chose rare (et pas seulement parce qu'il y avait le gratin de l'intellectualisme parisien, à coup de BHL, Dombasle, PPDA, Frédéric Mitterand et tutti quanti). Non, une vrai chose rare et belle : la retransmission en version longue de Metropolis de Fritz Lang au Théâtre du Châtelet...
C'était extraordinaire pour tout un tas de raisons : parce que le Châtelet est un endroit merveilleux, tout plein de draperies de velours rouge et de doreries ; parce que la musique était assurée par le Philharmonique de Radio France et que ça en jetait (surtout pendant les scènes de révolution ...) ; parce que Fritz Lang est un réalisateur génialement talentueux ; et parce qu'en plus, suite à la redécouverte il y a deux ans de bobines à Buenos Aires, on en avait 20 minutes de plus !
Bref, un enchantement ...
J'y suis allée sans rien connaître de l'histoire et j'ai donc découvert sur place Metropolis, ville de science fiction hyper hiérarchisée, où les maîtres vivent dans des gratte-ciel donnant sur le soleil et la lumière, et où les ouvriers s'entassent dans des immeubles souterrains ; où les fils des uns jouent à la course et s'ébattent dans des jardins extraordinaires, et où les fils des autres s'échinent dix heures par jour à la tâche ; où les femmes des uns sont habillées de tenues extravaguantes et à moitiés dénudées et où les femmes des autres sont sobrement vêtues de longues robes noires.
Le chef de cette ville, le patron au grand bureau donnant sur la ville, c'est Joh Fredersen, un homme austère qui n'a qu'un amour, son fils, et qu'un regret, sa femme morte en couche.
![metropolis1-copie-1.jpg](http://img.over-blog.com/300x225/3/11/25/48/divers/metropolis1-copie-1.jpg)
Son fils, Freder, croise par hasard le regard d'une jeune ouvrière, Maria, et c'est le coup de foudre (montré avec toute la finesse du cinéma muet : et que je me tiens le coeur, et qu'on se regarde dans le blanc des yeux pendant que le monde s'arrête de tourner, et que je me tiens le coeur encore plus fort, et que ...). Parce qu'elle dit aux enfants ouvriers qu'elle conduit que ce sont là vos frères, Freder décide lui aussi d'aller "voir ces hommes dont les enfants sont ses frères et ses soeurs", et surtout retrouver Maria.
Il découvre alors la vie atroce des ouvriers, qui n'a pas été sans me rappeler Les temps modernes de Chaplin (paru après, j'ai vérifié). Leurs dures journées ; le terrible Moloch qui se nourrit de leur force et de leur chair (scène terrible et extraordinaire) ; le stress, l'organisation quasi-militaire, l'épuisement, tout cela frappe le jeune homme sur-protégé au grand coeur, et le conduit à prendre la place d'un des ouvriers. C'est là qu'il apprend que Maria, sa bien-aimée, est une sorte de prophète de cette autre ville, annonçant la venue du médiateur, celui qui, tel le coeur, fera le lien entre la tête (le patron) et les mains (les ouvriers). Morale un peu niaise, je vous l'accorde, voire même légérement nauséabonde parfois.
En parallèle, on découvre Rotwang, le savant fou, l'inventeur démoniaque, qui crée un robot à apparence de femme, et dont Joh Fredersen veut se servir pour semer la zizanie chez les ouvriers. Le monstre technologique qui s'oppose à la beauté naturelle de l'amour de Maria et Freder...
C'est un film fondateur, mythique, plein de références (surtout bibliques en fait) et surtout splendide. Certaines images, de la ville, de l'usine, de la débauche, m'ont enchantée. Elles sont construites comme des tableaux vivants, des métaphores du Mal qui corrompt la ville.
Mais si Fritz Lang représente le Mal avec talent, je le trouve moins brillant dans la représentation du Bien, qui devient facilement nian-nian et gentillet. Les références à la Bible, au berger menant son troupeau ; la critique violente des révolutions ; l'absence de remise en cause de l'extrême inégalité sociale m'ont mise mal à la l'aise tout comme l'aspect religieux extrêmement prégnant. Il y a dans ce film un aspect "éducation populaire" qui m'a gênée...
Et d'autant plus que le film est sorti en 1927 en Allemagne, et que sa scénariste deviendra partisante du régime nazi. Sorti de son context, cet aspect ne m'aurait peut-être pas mise mal à l'aise : après tout, Hugo peut faire pire... Mais là, il m'y a fait penser.
Quoiqu'il en soit, ce film vaut le détour pour son atmosphère sombre, fantastique, théâtrale, démesurée. C'est un film titanesque !
L'avis de B.
Attention chef d’œuvre.
Nous avons eu l’immense privilège d’assister à la projection de Métropolis de Fritz Lang au théâtre du Chatelet pour les 20 ans d’Arte avec l’orchestre philharmonique de Radio France en live pour la musique … tout bonnement magique !
![DSC08180.JPG](http://img.over-blog.com/225x300/3/11/25/48/divers/DSC08180.JPG)
Il faut savoir que cet immense chef d’œuvre a été bien maltraité par le temps et que si l’original durait plus de deux heures, la copie qui nous restait était une version largement tronquée de 80 minutes. C’était compter sans la fondation Murnau et la chance qui ont permis de retrouver une copie du film au musé de Buenos Aères, à partir de laquelle il a été possible de restaurer le film presque intégralement. C’est cette version presque conforme à l’original qu’il nous a été donné de voir.
Que dire de ce film ? Tout ici confine au mythe, que ce soit l’image (certaines scènes sont immortelles), le thème multiple, engagé et puissant et surtout l’art de Lang poussé à son paroxysme.
Métropolis est une cité futuriste divisée en ville basse et ville haute. La ville basse, cœur industriel, est l’antre des machines que des ouvriers rendus au statut d’automates servent au péril de leur vie. Une scène incroyable nous montre la machine en Moloch mangeant ses propres ouvriers offerts en sacrifice. Ce sont les plans dont sont tirés les images de l’immense clip de the wall des Pink Floyd et certaines des scènes les plus évocatrices du cinéma. Chaque plan est une photo d’art. La ville haute, quand à elle, n’est que jardin, plaisir et jouissance pour les fils de la grande bourgeoisie dirigeante.
C’est dans un de ces jardins que Freder, fils de Joh Fredersen qui est le maître de la ville, a le coup de foudre pour une jeune femme qui brave l’interdit pour amener les fils d’ouvriers voir la lumière du jour et les jardins. Il va descendre dans la ville basse pour tenter de retrouver cette femme.
Ceci ne plait bien entendu pas à son père qui le fait suivre et découvre ainsi que la jeune femme en question, Maria, prêche l’égalité entre tous les hommes. Elle tempère toutefois les ardeurs bolchéviques des ouvriers en leur faisant miroiter l’arrivée d’un médiateur qui mettra fin aux abus de Fredersen et des patrons. Ceci reste la seule faiblesse du film, car charge son message d’un certain kitsch (entre la tête et les mains le médiateur est le cœur … hum …)
Je crois comprendre des mes recherches que ceci est une théorie qui est due à l’influence de Thea Von Harbou, la femme de Fritz Lang et coscénariste du film. Il s’agit d’une idéologie politique nazie (pas de lutte des classes mais une cohabitation harmonieuse entre classes populaires et élites – totalement niais). Il faut toutefois remettre les choses dans leur contexte : (i) la dénonciation de l’abus de la classe ouvrière reste très efficace et sans concession, marquant très clairement une idéologie de gauche (c’est en fait surtout dans la résolution du conflit que se marque ici la différence avec le marxisme - on est un peu géné aux entournures par l'absence de remise en cause des inégalités sociales) et (ii) il s’agit d’un film muet et ainsi l’écrit ne tient qu’une place limitée à quelques cartons assez peu denses. Vous comprendrez donc qu’ici la mise en scène est la seule à permettre de faire passer le sens. Nous sommes dans le domaine du symbole et c’est là que se situe le géni de Métropolis. La puissance et la richesse du film sont incroyable d’autant plus qu’il doit totaliser à peine une page ou deux de texte pour faire passer toute la richesse de son propos. Tout passe par l’image, et quelle image !
Mais poursuivons le déroulement du récit. Joh Fredersen va voir Rotwang, sorte de savant fou pour lui demander de trouver une solution. Rotwang le hait car Joh Fredersen lui a ravi la femme qu’il aimait, morte en donnant naissance à Freder que Rotwang hait encore plus que son père, si cela est possible.
Freder est un savant fou et démoniaque. Il a créé un androïde féminin pour remplacer son amour défunt (le robot de l’affiche – sublime). Fredersen demande à Rotwang de donner le visage de Maria à cet androïde pour qu’il détruise tout son travail et pousse les ouvriers à la révolte, lui permettant d’user d’une répression violente pour reprendre le contrôle sur la ville basse qui commence à lui échapper (les scènes dans le laboratoire de Rotwang ont tout simplement inspiré toutes les scènes de laboratoires de savant fou que vous avez pu voir – la scène est splendide). Cependant, Rotwang dupe Fredersen et ne poursuit que la destructionde Metropolis. Son androïde sera le messager de l’apocalypse et poussera aussi bien la ville haute que la ville basse à la révolte, noyant la première sous l’eau et la seconde dans la débauche.
Le final, grandiose a lieu dans les tours de la cathédrale et voit Freder apaiser les tensions entre ville haute et ville basse, prenant le rôle de médiateur. C’est peu dire que Tim Burton s’est totalement inspiré de cette scène pour le final de son premier batman et que le joker est une copie de Rotwang.
Métropolis mérite d’être vu ne serais-ce que parce qu’il est l’original de tellement de choses qui nous sont si familières.
Enfin, c’est l’un des premiers films de science fiction, pour moi le plus beau film de Fritz Lang que j’ai vu jusqu’à aujourd’hui et un sommet de mise en scène du brio d’un Orson Welles. La puissance évocatrice de l’image est incroyable et ce film réussit le tour de force de faire revivre devant vos yeux ébahis une version moderne et industrielle du mythe de la tour de Babel.
Magistral.