J’aime la Comédie Française – ou le Français comme disait encore si élégamment ma grand-mère, j’aime ses escaliers de pierre, ses rideaux de velours rouge et ses ouvreuses. Y aller est une fête (trop rare), et lorsque j’ai vu qu’on y jouait un Shakespeare, mon sang n’a fait qu’un tour.
Les Joyeuses Commères ? Connais pas, mais ça doit être bien : c’est Shakespeare. Je suis donc entrée dans la magique salle Richelieu comme un peu dubitative, ne sachant pas trop à quoi m’attendre. Je m’assois sur mon fauteuil, on était bien placé pour une somme assez raisonnable. J’attends.
20h30 précise, une sorte de « Pantalone » bossu glisse sa tête par le rideau et commence à nous parler. Petit à petit le brouhaha se calme, les gens se tiennent tranquilles et essaient de comprendre ce que ce moine à l’accent flamand essaie de nous dire. Et lorsque le calme s’est enfin fait, le rideau se lève … sur une scène plongée dans l’obscurité. Petit à petit, des chandelles s’allument et un tableau de Rembrandt, des buveurs autour d’une table de bois brut, apparaît.
Plusieurs intriguent s’entremêlent dans cette pièce. La principale concerne Falstaff, un buveur impénitent, coureur de jupon, joueur aux dés pipés, pilier de la taverne de la Jarretière, joué par Bruno Raffaelli aux attributs masculins proéminents. Alors que ses finances s’assèchent, il décide de courtiser deux épouses dotées de maris riches : il envoie donc deux lettres strictement identiques à Mrs Duflot et à Mrs Lepage. Hélas, ces lettres sont pitoyables et totalement identiques, ce que les deux amies découvrent vite. Et pour se venger de Falstaff, elles mettent au point un plan : Mrs Duflot va faire semblant d’être séduite par le débauché et les deux complices en profiteront pour lui jouer farce sur farce et lui faire passer le goût de la débauche. Elles sont aidées en cela par Mr Duflot, l’extraordinaire mari de la belle Mrs Duflot (fantastique Christian Hecq). Ce petit être chétif et nerveux, jaloux comme une puce, entre à son insu dans le jeu des deux commères pour lui donner encore plus de sel.
En parallèle, les galants tournent autour de la ravissante fille de Mrs Lepage, Miss Anne Lepage. Maigreux, un être laid et chétif, bègue, mais doté de nombreuses terres, ce qui en fait le favori du père de la donzelle. Le Dr Caïus, fou et échevelé, riche et donc préféré de la mère. Et Fenton, élégant et gai soupirant de la jeune fille, dont il reçoit les préférences. Bien évidemment, les amoureux gagnent contre les parents, Anne épouse son bien-aimé (et s’apprête donc à vivre une vie malheureuse auprès d’un homme dont tout indique qu’il est volage, dépensier et inconstant, mais elle l’aura choisi !).
Et au milieu, Mrs Petula, servante à quadruple jeu, drôlissime, qui mène tout son monde, et collectionne les dessous de tables, jouée par la drôlatique Catherine Hiegel.
Rien de tout cela n’incite à la pièce sérieuse, et cette pièce est une énorme farce, qui ne recule devant rien, même la vulgarité. Falstaff jure, et les « merdes » fusent sous le plafond doré de la Comédie Française. Les acteurs jouent à chat-bite, lorgnent les larges décolletés des belles, tentent de retrousser leurs jupes, tandis que le jeune page et une des servantes échangent des caresses on ne peut plus explicites.
Ca m’a un peu dérangé au début : on ne s’attend pas à voir ça dans ce lieu. Et puis, la drôlerie des scènes, le ridicule accentué de certains personnages complètement surjoués, le côté farce médiévale de l’ensemble m’a saisie, et je me suis mise à rire comme tout le monde.
La traduction est, je pense, récente et assez peu fidèle : je serais très étonnée d’apprendre que Shakespeare s’est amusé à mettre le Plat Pays de Brel dans la bouche de son curé. Mais, si la lettre n’est pas là, l’esprit de drôlerie reste, avec des références plus adaptées à nous, spectateurs.
Mais cette pièce n’est pas si gaie, et se termine sur une note amère. Anne, comme je vous l’ai dit, épouse un homme léger et frivole qui ne la rendra sans doute pas heureuse (mais le Docteur ou Maigreur auraient-ils été meilleurs ?). Et Falstaff, le vivant, le joyeux Falstaff, perd, se range, laissant le champ libre à la morale et à la bienséance. Je lisais dans le dossier de presse que le metteur en scène, Andrès Lima, voyait dans cet aspect de la pièce une métaphore de notre monde, de plus en plus aseptisé, où boire, fumer, baiser deviennent interdit. Oui, il y a de cela derrière la farce, et ça donne une saveur douce-amère à la soirée…
PS : pas d'image ou de photos parce que la Comédie française interdit qu'on en prenne pendant la pièce (ce que je comprends). Mais si ils avaient la gentillesse d'en mettre une dizaine sur leur site, cela faciliterait bien la vie des pauvres bloggeurs ...