"Et c'est juste, remarquez bien ... Que deviendrait la société si un domestique pouvait avoir raison d'un maître ? Il n'y aurait plus de société, Mademoiselle... Ce serait l'anarchie..."
Célestine est une jeune femme de chambre, à la fin du XIXème siècle. Après avoir bourlingué de maison bourgeoise parisienne en maison bourgeoise parisienne, elle a échoué chez les Lanlaire, en Normandie. Madame Lanlaire est une femme avare et raccornie, Monsieur Lanlaire un homme débauché et ennuyé. Pas pire que les maîtres précédents de Célestine, en fait.
Pour tromper l'ennui, la jeune femme tient un journal, dans lequel elle raconte ses journées, et revient sur ses places passées, dévoilant les arrières-cuisines des belles demeures.
"Est-ce curieux, ces gens qui cachent tout, qui enfouissent leur argent, leurs bijoux, toutes leurs richesses, tout leur bonheur, et qui, pouvant presque vivre dans le luxe et dans la joie, s'acharnent à vivre presque dans la gêne et l'ennui."
C'est un monde d'esclavage que décrit Célestine. Les bonnes sont des esclaves vouées aux fantaisies de leurs maîtres. Entre les maîtresses qui prêtent des vêtements (en leur demandant qu'ils soient rendu lorsqu'elles partent) et celles qui changent les prénoms de leur bonne, en passant par celles qui prostituent la jeune femme à leur fils et petit fils ; entre les maîtres qui abusent des bonnes, et celles qui les entretiennent en promettant un héritage qu'elles n'auront pas ; c'est tout un univers où l'homme abuse de l'homme, le traite comme un objet, qui se déroule devant nos yeux et qui n'est pas sans rappeler quelques uns des articles que l'actualité récente met devant nos yeux.
"Un domestique, ce n'est pas un être normal, un être social... C'est quelqu'un de disparate, fabriqué de pièces et de morceaux qui ne peuvent s'ajuster l'un dans l'autre, se juxtaposer l'un à l'autre... C'est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain... Il n'est plus du peuple d'où il sort ; il n'est pas, non plus, de la bourgeoisie où il vit et où il tend... Du peuple qu'il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve... De la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux sans avoir puacquérir les moyens de les satisfaire... et les sentiments vils, les lâches peurs, les criminels appétits, sans le décor, et, par conséquent, sans l'excuse de la richesse..."
C'est un roman extrêmement cruel, extrêmement violent. Il n'y a pas les "gentils" ni les "méchants", car les domestiques sont autant égoïstes, sans gêne, que leurs maîtres. Ils abusent de la situation, des garde-mangers mal fermés, des maîtres naïfs entreprenant, du luxe, de la douceur de vivre de leurs maîtres. Et, devenus maîtres eux-mêmes, se transforment en tyrans domestiques.
Au final, c'est un monde peu ragoûtant que nous décrit Mirbeau, mais sous la plume enlevée et légère de Célestine (une vraie Titi, la pourriture se change en farce, vulgaire, tragique, mais si pleine de vie que la silhouette de la jeune femme, mi-putain, mi-esclave, mi-grande dame s'anime sous nos yeux.
Un régal ...
Lu en lecture commune avec Mélusine
Et dans le cadre du challenge La littérature fait son cinéma