Le blog d'une curieuse, avide d'histoires, de récits, de livres, de film et d'imaginaire.
« This then is my story. I have reread it. It has bit of marrow sticking to it, and blood, and beautiful brightgreen flies. At this or that twist or it I feel my slippery self eluding me, gliding into deeper and darker waters that I care to probe. »
Ce n’est pas cette phrase que j’ai choisie pendant ma lecture et qui m’a accompagnée jusqu’au bout : quelques mots de Lolita à Humbert Humbert, cinglants et nerveux comme elle les fait parfois « ‘The word is incest,’ said Lo. ». Mais il se trouve qu’arrivée à la toute fin, c’est une des dernières phrases du journal d’Humbert Humbert qui m’a touchée et me semble le mieux résumer cette expérience.
Car Lolita est une expérience, violente, émouvante, qui fait réfléchir, écrite dans une langue d’une beauté et d’une perfection telle qu’on ne se doute pas qu’elle n’est pas la langue maternelle de l’auteur. C’est un livre à lire, un de ces livres qui vous remue, vous fait douter, vous ballade avec nonchalance.
Déjà, parce que je n’ai pas lu du tout ce que je m’attendais. J’en avais un peu entendu parler, je savais que ça raconte l’histoire entre un homme mûr et une très jeune fille. Je savais que ce livre avait donné naissance au mot permettant de décrire une jeune fille aguicheuse et sexy. Et puis voilà.
Je n’ai pas trouvé de « lolita » dans ce roman. Lolita qui ne se lave pas les cheveux, qui vit en short, qui pue (Humbert Humbert nous le laisse entendre à plusieurs reprises), qui parcourt des comics à longueur de journée et qui n’a pas la langue dans sa poche, elle n’est pas aguicheuse, elle est juste inconsciente.
Inconscient d’Humbert Humbert, seul et unique personnage de ce roman. Je ne m’attendais pas à cela, et je comprends que le livre ait choqué à sa sortie. Humbert est un pédophile, du genre libidineux qui matte les enfants dans les cours d’école, du genre intellectuel qui théorise le goût pour les nymphettes, du genre qui se frotte sur les jambes des petites filles, du genre violent et lâche, du genre cultivé et aride, du genre détestable.
Ce roman est sa confession, sa défense devant ses juges (on comprend vaguement qu’il a du sang sur les mains), ses mémoires dans lesquelles il raconte sa vie amoureuse, depuis une expérience d’enfant avec une gamine de son âge, ses mariages, jusqu’à Lolita. Il utilise ce support pour nous mettre violement face à son intimité : c’est totalement déstabilisant, et merveilleusement écrit.
C’est malgré tout un roman inégal. La première partie est atroce et géniale, répugnante et addictive, brillante d’un bout à l’autre, du
« Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta. »
À l’horreur du
« You see, she had absolutely nowhere else to go. ».
J’ai eu beaucoup plus de difficultés avec la seconde partie. C’est un long road movie, une fuite en avant d’Humbert Humbert, d’hôtel en hôtel. Ainsi qu’il le dit lui-même, un Lolita prisonnière, comme il y a La prisonnière et Albertine disparue, les deux romans de Proust qui m’ont fait arrêter La recherche. De page en page, les mêmes angoisses, le regard jaloux sur Lolita et sur ceux qui l’entourent. La violence. La cruauté. Et le portrait en creux de cette enfance martyrisée.
(il est à noter que je compare la « moins bonne » partie de cet ouvrage à ce que certains considèrent comme la plus belle œuvre littéraire française : inégal, certes, mais certainement pas mauvais)
Et puis, il y a la fin, brillante et merveilleuse comme un lever de soleil, comme lavée et purifiée par le sang versé. Le dernier paragraphe est tellement plein d’amour et de tendresse que les larmes me sont venues aux yeux. « Thus, neither of us is alive when the reader opens this book. But while the blood still throbs through my writing hand, you are as much part of the blessed matter as I am, and I can still talk to you from here to Alaska.” Une merveilleuse déclaration d’amour faite d’art, qui met Lolita enfin sur un pied d’égalité avec la Béatrice de Dante et la Laure de Pétrarque, bien plus que son âge et celui de son amant.
Je conseille également de lire les quelques mots de Nabokov sur la genèse du livre. Déjà, parce qu’une phrase comme « there are many things, besides nymphets, in which I disagree with [Humbert] » rassure sur la santé mentale de l’auteur, tellement Lolita semble écrite par un fou et un nympholepte.
Mais surtout parce qu’il explique le processus de création d’une œuvre comme celle là. De la première nouvelle écrite en russe jusqu’au roman, des difficultés de la publication jusqu’à ce qu’une maison française accepte cette œuvre qui n’est pas pornographique (et de très loin), et les réactions des lecteurs.
Et ce cri du cœur que je trouve bouleversant : « My private tragedy, which cannot, and indeed should not, be anybody’s concern, is that I had to abandon my natural idiom, my untrammeled, rich and infinitely docile Russian tongue for a second-rate brand of English, devoid of any of those apparatuses – the baffling mirror, the black velvet backdrop, the implied association and traditions – which the native illusionist, frac-tails flying, can magically use to transcend the heritage in his own way. ».
C’est malin, j’ai envie de lire ses oeuvres russes, maintenant !
C’est de l’excellente littérature américaine,
C’est lu en VO (pas l’anglais le plus facile que je n’ai jamais lu, mais certainement un des plus beaux)
Et c’est lu dans le cadre du challenge : Lire Lolita à Téhéran !