
Fin des années 50. Une ville allemande. Un jour pluvieux (un peu comme aujourd’hui). Un jeune garçon est malade, fiévreux. Une femme va l’aider, le raccompagner chez lui, avec des gestes à la fois brusques et tendres. Une fois guéri, il va retourner chez elle, un bouquet de fleurs à la main, pour la remercier.
Une relation va se nouer entre ce jeune homme d’une quinzaine d’années, Michael, et cette femme qui pourrait être sa mère, Hannah. Elle va commencer par l’initier au sexe, l’occasion de très belles scènes du film ; il va continuer en l’initiant à la littérature, en lui lisant à haute voix tout ce qui lui passe par la main de Homère à Tchekov.
Il va tomber amoureux d’elle. Et elle va disparaître.
Des années plus tard, en 1966, Michael est étudiant en droit, sérieux, bûcheur. Dans le cadre de ses cours, il va assister au procès de six gardiennes d’un camp de concentration nazi. Au milieu d’elles, il reconnaît Hannah et les tourments d’une vie commencent.
Il y a beaucoup de choses dans ce film. La culpabilité des allemands après la guerre, avec cette très belle phrase prononcée par le professeur de droit de Michael (je cite de mémoire) : « ce qui est important, ce n’est pas ce que tu penses, mais ce que tu fais. Et si mes erreurs ne te font pas progresser, alors … à quoi bon ? ». Une réflexion sur le droit, sur la notion de crime contre l’humanité, sur le fait qu’il faut juger sans vouloir se venger, sans vouloir faire un sacrifice expiatoire, mais juste juger, sur des faits, sur des intentions, avec des lois et un droit. Un film d’initiation également, qui montre comment un jeune adolescent devient un homme en découvrant l’amour et la sensualité.
Mais le film va évidemment au delà de tout ça. Il se demande si on peut toujours aimer quelqu’un après avoir appris qu’il a commis des choses atroces. Peut-on aimer une femme qui a trié des victimes pour les envoyer à l’abattoir ? Qui a laissé des femmes brûler vives dans une église alors qu’elle pouvait les sauver ? Peut-on écarter ces souvenirs au profit de ceux de ballades en vélos et de longues lectures, allongés nus sur un lit ?
En lisant les critiques avant d’aller voir ce film, j’ai lu que de nombreux journalistes n’avaient pas aimé, voire avait détesté ce film car « il présente une gardienne de camp de manière humaine ».
Effectivement, et c’est une des choses qui fait la force et l’intelligence de ce film. Hannah est une femme normale, humaine, qui cherchait un travail, qui trouve celui là et qui n’est pas repoussée par l’inhumanité de ce qu’on lui demande de faire.
Quand, au tribunal, Hannah explique qu’elle n’a pas ouvert les portes de l’église en feux et qu’elle a laissé ces femmes brûler vives dans des souffrances inimaginables, elle dit « Nous devions les garder. Si nous avions ouvert les portes, elles se seraient enfuies, et cela aurait été le chaos. – et après un temps où le regard de Kate Winslet est bouleversant d’incrédulité, d’incompréhension, en se tournant le juge – Qu’auriez vous fait, vous ? ». Le juge ne répond pas. Là où ce film dérange, c’est qu’il nous pose cette question à nous, êtres humains qui allons le voir. Il montre la banalité du mal : chacun porte en lui de quoi agir de cette façon. Portons-nous également suffisamment d’humanité et de courage pour ne pas se laisser aller à agir comme Hannah ?
Ce film ne cherche pas à excuser ou faire prendre en pitié Hannah. Elle est coupable de son crime, le plus grave qui existe, mais nous dit juste la complexité et la faiblesse de l’être humain.
J’ose espérer que le thème de l’analphabétisme de Hannah sert en quelque sorte d’explication à son comportement : elle aurait été éduquée, aurait été cultivée, elle n’aurait pas pu commettre des actes pareils. Cette idée est suggérée, mais jamais très clairement.
C’est peut-être l’un des seuls défauts de ce film : on apprend que Hannah ne sait pas lire, que c’est une blessure profonde pour elle, mais … ce thème que je pensais être central dans ce film n’est finalement qu’évoqué. Outre le lien mystérieux entre son analphabétisme et son rôle de kapo, je trouve que la honte profonde de son ignorance est mal expliquée. Qu’on n’ose pas l’avouer à un jeune amant cultivé, je le comprends ; qu’on n’ose même le dire à ses patrons en refusant toutes les promotions où cette ignorance pourrait être dévoilée, pourquoi pas ; mais qu’on endosse des responsabilités qui ne sont pas les siennes, qu’on laisse presque innocenter des coupables pour ne pas avoir à l’avouer, voilà qui m’échappe. Et qui me donne très envie de lire Le Liseur de Bernhard Schlink dont le film est tiré afin de voir si cet aspect du caractère de Hannah est mieux expliqué.
Pour finir sur des remarques plus cinématographiques, on ne peut que saluer le jeu des acteurs, tous les acteurs en général et Kate Winslet en particulier. Les émotions passent par des regards, des expressions fugaces, légères. Dans un thème aussi tragique, on évite le pathos inutile (j’ai quand même fini le visage ruisselant de larmes, j’avoue).
La mise en scène est classique, très classique, d’un classicisme assumé et qui ne dessert pas le film, bien au contraire. La caméra se centre sur les acteurs, leurs visages, leurs corps, leurs yeux : ce sont eux et leurs émotions qui sont au cœur du film.
Mes seuls regrets sont pour les quelques facilités parsemées encore au cours du film : une musique trop présente, des envolées lyriques au piano dans les scènes les plus fortes qui gâchent l’émotion subtile montrée par les acteurs. De même, les personnages secondaires sont parfois un peu caricaturaux : en particulier, les cinq co-accusées de Hannah sont cinq pestes vulgaires, au brushing et au maquillage agressif, alors qu’il n’y avait pas besoin de ces facilités pour montrer leur bêtise et leur petitesse d’esprit.
Bref, c’est un film très beau, très profond, très complexe, certainement pas facile, merveilleusement interprété, en particulier par Kate Winslet qui mérite parfaitement son Oscar. À voir et à méditer absolument.