A. Briggs, de l’équipe de S. Pääbo, a publié dans Science la semaine dernière, un article décrivant comment ils ont pu séquencer et analyser 5 génomes mitochondriaux entiers d’hommes de Néandertal. Outre l’exploit technique que cela représente, inimaginable un ou deux ans auparavant, cet article apporte des pistes pour comprendre comment cette espèce, l’autre espèce d’Hommes a pu disparaître, il y a environ 30 000 ans. En effet, diverses hypothèses existent pour expliquer comment, 10 000 ans après l’arrivée des premiers Homo sapiens (nous) en Europe, Homo neandertalensis s’est éteint. Une de ces théories fait intervenir un changement climatique avec un refroidissement brutal du climat. D’autres hypothèses sont plus romanesques, comme une guerre faisant rage entre sapiens, à peine arrivé en Europe, et Néandertal, installé depuis plusieurs centaines de milliers d’années ; guerre que nous aurions gagné grâce à notre supériorité intellectuelle et artisanale. Une autre est très romantique : des unions auraient eu lieu entre des hommes et des femmes néandertalien(ne)s et humain(es) et Néandertal n’aurait pas vraiment disparu, il se serait mélangé à sapiens : nous serions tous des néandertaliens. Des chercheurs ont pensé à des hypothèses plus prosaïques comme une maladie importée d’Afrique par sapiens contre laquelle Néandertal n’aurait pu lutter (une sorte de guerre bactériologique). Etc., etc., etc. et je ne vous parle pas des options farfelues faisant intervenir des extraterrestres !
Certaines de ces hypothèses ont du plomb dans l’aile, en particulier celle du croisement entre les deux espèces humaines. Elle était très populaire chez les paléontologues qui ont reconnu chez certains fossiles un mélange entre des traits néandertaliens et sapiens. En revanche, tous les arguments génétiques fiables publiés montrent que le pourcentage d’admixture entre néandertal et sapiens tend vers 0. Cela signifie que la part d’ADN des Homo sapiens européens actuels provenant du génome de Néandertal est très très petite, voire nulle, et donc que si mélange il y a eu, il est anecdotique. Même si il reste une légère marge d’erreur, une telle concomitance, retrouvée par des équipes différentes, sur des échantillons variés laisse quand même peu de place à cette explication. La publication du génome complet de Néandertal dans quelques mois (encore une autre prouesse technologique réalisée par l’équipe de Pääbo !) permettra vraisemblablement d’écarter définitivement cette hypothèse. Ces données génétiques ne prouvent pas, cependant, qu’il n’y a jamais eu de croisement entre néandertaliens et sapiens : en particulier, les fossiles présentant des traits mixtes pourraient très bien avoir un parent d’une espèce et un parent de l’autre. Mais ces êtres étaient probablement stériles ou très peu fertiles, et n’ayant pas de descendance n’ont pas pu enrichir le génome des sapiens modernes avec de l’ADN d’origine néandertalienne ! Résoudre cette question demandera une analyse très poussée des génomes des échantillons d’homo sapiens préhistoriques (appelés également hommes de Cro-Magnon). Cette analyse ne sera pas faite avant très longtemps car elle demande à la fois beaucoup de temps, énormément d’argent, et plus de fossiles de Cro-Magnon que les préhistoriens n’en ont encore découverts.
L’article de Briggs apporte un nouvel éclairage : en analysant et comparant les séquences des 5 génomes mitochondriaux de néandertaliens, d’âges très différents (le plus récent serait âgé de 38 000 ans, le plus âgé pourrait avoir jusqu’à 70 000 ans !) et provenant de régions éloignées, ils ne trouvent que peu de différences génétiques entre ces individus. La variabilité est faible, environ un tiers de celle présente chez les humains actuels, et serait même inférieure à celle que l’on trouve chez les population européennes actuelles. Des grottes éloignées de plus de 850 km présentent des séquences mitochondriales totalement identiques. Après vérification que le faible nombre d’échantillon étudiés n’introduit pas de biais, qu’il n’y a pas de structuration en fonction de l’espace et/ou du temps, ils estiment que la population est petite et que moins de 3 500 femelles seraient impliquées. Ainsi, il y aurait eu peu de diversité génétique chez Néandertal. Leur analyse montre même que ce phénomène est très ancien dans cette espèce, bien antérieur à l’arrivée d’Homo sapiens en Europe il y a 40 000 ans. C’est généralement un facteur très négatif pour la survie d’une espèce car cela la rend beaucoup plus fragile : le moindre événement peut rapidement conduire à son extinction, que cet événement soit l’arrivée d’une autre espèce ayant les mêmes habitudes alimentaires (sapiens), un changement climatique ou l’arrivée d’une nouvelle maladie (voire les trois en même temps). Événement auquel, avec une variabilité génétique plus important, l’espèce aurait pu résister ! Bien entendu, l’affaire ne s’arrête pas là : seuls cinq individus ont été analysés, la partie la plus importante du génome (le génome nucléaire), n’a pas encore été étudié et les causes de cette faible variabilité restent encore mystérieuses. Mais, peut-être que l’explication de la disparition de Néandertal serait-elle génétique et non climatique ou sociale ?
Lexique : Génome mitochondrial : une partie du génome, qui n’est pas stocké dans le noyau des cellules, mais dans d’autres structures (appelées mitochondries). Ce génome est une infime partie du génome total, mais de très nombreuses copies existent dans chaque cellule, ce qui rend son analyse dans des échantillons préhistoriques (beaucoup) plus facile que l’autre génome (appelé nucléaire). Il n’est (sauf très rares exceptions) transmis que par la mère à ses descendants.
Targeted retrieval and analysis of five Neandertal mtDNA genomes. Briggs AW, Good JM, Green RE, Krause J, Maricic T, Stenzel U, Lalueza-Fox C, Rudan P, Brajkovic D, Kucan Z, Gusic I, Schmitz R, Doronichev VB, Golovanova LV, de la Rasilla M, Fortea J, Rosas A, Pääbo S. Science. 2009 Jul 17;325(5938):318-21 http://www.sciencemag.org/cgi/content/full/325/5938/318
<br />
<br />
Wouaaaw! Quelle assurance pour affirmer donc qu'aucun hybridage n'a eut lieu entre sapien et néandertalis. Et j'adore le: "notre intelligence supérieure".<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
Pour le premier point, je me base sur l'article de 2010 parue dans Sciences et le brouillon: http://www.sciencemag.org/cgi/content/full/328/5979/710<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
Le deixième point, c'est le fait qu'on mesure la boite cranienne de ce néandertalisn supérieure à celle du sapiens...<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
Bon, tout aà fait d'accord qu'on est pas sorti de l'auberge pour pouvoir répondre avec plus d'assurance, mais une chose est certaine comme dirait Gabin, on ne sait pas en final.<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
Comme vous pouvez le voir, mon billet a été publié avant que ne sorte les données de Pääbo ! Mais elles ne changent pas mon opinion sur le sujet. En effet, je prends ces résultats avec beaucoup<br />
de prudence. L'équipe qui en est responsable avait déjà publié des fragments du génome néandertalien en 2006, qui d'après eux montraient déjà à l'époque des croisements entre sapiens et<br />
néandertal ; or, ces données étaient entachées d'une contamination massive par de l'ADN humain moderne. D'après les bio-informaticiens qui avaient mis en évidence cette contamination, elle<br />
s'élèverait à 80% des séquences obtenues : bien sûr, le mélange génétique apparait très probable avec ce genre d'étude !<br />
<br />
<br />
L'équipe de Pääbo admet maintenant lors de congrès que seuls 20% sont contaminés. Quoiqu'il en soit, c'est déjà énorme. Et malgré tout, aucune rectification à l'article de Nature n'a été apportée<br />
pour l'instant, ce qui donne une mauvaise image de la rigueur scientifique de cette équipe.<br />
<br />
<br />
Tout ça pour dire que, les vérifications simplissimes suggérées par les informaticiens ayant mis en évidence cette contamination n'ayant pas été faites pour le Science 2010 ; les résultats<br />
apparaissant au rebours de toutes les résultats obtenus par toutes les autres études ; et le séquençage de ce génome étant très partiel (avec une couverture de seulement 1.4X), je reste très<br />
dubitative et j'attends confirmation par d'autres équipes de paléogénéticiens avant d'accorder du crédit à un croisement sapiens/néandertal.<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
En ce qui concerne l'intelligence supérieure de sapiens sur néandertal, ce genre de réflexions se heurte toujours à la difficile définition de l'intelligence. Quoiqu'il en soit, la taille du<br />
cerveau n'est absolument pas un marqueur d'intelligence : en effet, elle dépend d'abord et avant tout de la taille générale du corps. De plus, d'autres facteurs adaptatifs peuvent intervenir,<br />
comme l'adaptation au froid, ce qui serait un facteur à prendre en compte dans le cas d'une comparaison néandertal (adapté aux régions froides)/sapiens (provenant de climats tropicaux).<br />
Cependant, on peut quand même estimer que deux aspects témoignent d'intelligence : l'art et la technique. En ce qui concerne l'art, aucune manifestation néandertalienne n'est pour l'instant<br />
connue, et il est fort probable qu'il n'en existe pas. Alors même qu'à cette époque, sapiens peignait la Grotte Chauvet.<br />
<br />
<br />
En ce qui concerne la technique, il semble même que néandertal n'ait pas été l'auteur de certains outils chatelperroniens qu'on lui attribuait, comme le montre une étude parue récemment dans PNAS<br />
: http://www.pnas.org/content/early/2010/10/13/1007963107.abstract?sid=eecfa487-c6ea-412a-96c8-e0010b639503<br />
<br />
<br />
J'espère avoir pu ainsi répondre à vos remarques. Très bonne soirée !<br />
<br />
<br />
<br />