"Western society is not alone in thinking that the way to a man's heat is through his stomach."
Richard Wrangham nous expose dans ce livre sa théorie : ce qui fait que l'Homme est Homme (avec toutes les caractéristiques que ça implique, comme le gros cerveau ou la posture debout), ce n'est pas la fabrication d'outils, ni le redressement sur ses pattes arrières. Non, ce qui fait que nous sommes Hommes, c'est parce que nous maîtrisons le feu et que cela nous permet de cuisiner.
Une telle affirmation ne pouvait que séduire la gourmande que je suis. J'ai donc décidé d'aller voir plus long son raisonnement.
Premier point qu'il démontre : faire cuire les aliments permet d'en extraire plus d'énergie. Si bien que l'Homme ne peut plus survivre en ne mangeant que des aliments crus (ou alors ce sont des aliments issus de l'agriculture et donc sélectionnés pendant des milliers d'années pour augmenter leur valeur nutritive). Dans toutes les cultures, l'Homme fait cuire ses aliments ; tous les naufragés qui ont survécu ont, à un moment ou à un autre réinventé le feu.
La meilleure manière de faire un régime, c'est d'arrêter de faire la cuisine, et de tout manger cru : on gagne un tiers d'énergie en moins ! Pourquoi ? Déjà parce que la cuisson en déteriorant les membranes qui protègent les aliments (membrane conjonctif autour des muscles, parois cellulaires des tissus végétaux ...) aide à libérer les nutriments. Mais également parce qu'elle rend ces aliments plus digestes, tout en tuant les parasites qui pourrait y vivre.
Il démontre également que l'Homme est adapté à manger cuit : non seulement, notre tube digestif est plus court que celui des autres primates (notre nourriture étant déjà pré-digérée par la cuisson, nous la digérons plus vite), mais nous avons aussi amélioré des mécanismes de réparation de l'ADN qui permettent de répondre aux dommages faits par les produits de Maillard lors de la cuisson.
Quel est l'avantage de la cuisson ? Nous donner plus de carburant pour cette usine terriblement consommatrice qu'est notre cerveau. La consommation du reste du corps restant la même, le surplus est allé à un organe qui ne demandait qu'à se développer : nos cellules nerveuses. Augmentant en taille, augmentant en connexions nerveuses, cet organe nous a permis de développer des outils, une industrie, des relations sociales élaborées et finalement, l'art ...
Mais parce qu'elle libérait du temps de digestion, la cuisine nous a également donné du temps pour faire autre chose que manger/baiser/dormir. Faire des outils par exemple. Ou aller vers un partage des tâches permettant à ceux qui sont doués de se spécialiser dans leur domaine de prédilection.
Il glisse après vers les avantages du feu. Comme il éloignait les animaux dangereux, nos ancêtres ont pu cesser de grimper dans les arbres pour passer la nuit. Ce faisant, un certain nombre d'adaptations de leurs pattes arrières (ou jambes ?) qui leur permettait d'effectuer cet exercice ont pu être remplacées par d'autres adaptations dédiées à la marche. Et en prenant du temps sur la nuit, des veillées ont pu se développer, qui ont contribué à rendre plus complexe encore la société humaine, et sans doute ont éveillé son imaginaire.
Enfin, il s'intéresse à un fait social, malheureusement très répandu dans le monde : ce sont généralement les femmes qui cuisinent (en tout cas au quotidien) et qui sont tenues responsables du manque de nourriture. L'homme ramène le gros gibier, la nourriture rare et extraordinaire qui va embellir le repas et s'occupe parfois des repas de fêtes. La femme s'occupe de la nourriture de base, et fait les repas quotidiens.
Dans de nombreuses sociétés, la femme peut se faire battre si elle ne prépare pas le repas en temps et en heure, ou si ce dernier est insuffisant. En revanche, son mari ne se fera pas reprocher d'être un piètre chasseur.
De manière encore plus étonnante, il nous décrit le cas de peuples où ce qui fonde un couple n'est pas la relation sexuelle, mais le fait de s'offrir à manger. Une femme peut coucher avec son voisin sans qu'on la considère unie à lui ; mais si elle lui offre à manger et qu'il l'accepte, ils sont considérés comme un foyer.
D'après Wrangham, cette organisation humaine est elle aussi due au fait de cuisiner : en cuisant des aliments, ceux acquièrent une valeur nutritive bien supérieure et deviennent très rentables. Il est donc facile d'imaginer que les femmes qui cuisaient leur nourriture se la faisait voler, et qu'elles ont eu besoin d'être protégées par un homme - lequel demandait tout pouvoir sur le repas après.
Que cette dernière hypothèse soit juste ou pas, il est difficile de le prouver. En tout cas, cette plongée dans l'histoire de l'espèce humaine, vue du côté de son alimentation est passionnante. Facile à lire, pleine d'anecdotes, intelligent et grand public, c'est un livre que je conseille à tous ceux intéressés par la Préhistoire !