"C'était, au fond du hall, autour d'une des colonettes de fonte qui soutenait le vitrage, comme un ruissellement d'étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut et s'élargissant jusqu'au parquet. Des satins clairs et des soies tendres jaillissaient d'abord : les satins à la reine,, les satins renaissance, aux tons nacrés d'eau de source ; les soies légères aux transparences, aux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien, rose de mai, bleu Danube."
Je ne sais pas si vous savez, mais la BBC a sorti une adaptation d’un roman bien de chez nous : Au Bonheur des Dames, de Zola. Et, comme tout ce que fait cette vénérable maison, cette mini-série (que je n’ai pas encore finie de regarder) est un délice. En tout cas, sur whoopsy-daisy, on a adoré suivre les aventures de Denise et Mr Moray (oui, l’histoire a été anglicisée). Et on a tellement aimé qu’on a décidé de relire cette merveilleuse histoire. Le seul Zola qui ressemble à un conte de fées, on ne peut pas passer à côté, non ?
C’était la quatrième ou cinquième fois que je le relisais : je me souvenais assez bien de l’histoire. Denise, une petite provinciale, qui débarque à Paris avec ses deux jeunes frères. Cherchant un travail de vendeuse, elle finit par être embauchée dans le magasin qui monte dans le quartier, dans Paris, dans la France : Le Bonheur des Dames.
Le magasin de nouveautés, tenu de main de maître par Octave Mouret, séducteur, intelligent, brillant, grignote peu à peu le pâté de maisons, comme un ogre affamé. Autres boutiques, clientes, rien ne résiste à son appétit et à son charme enchanteur. Grâce au Bonheur, grâce à Mouret, on n’achète plus ce dont on a besoin, mais ce dont on a envie, ce que Mouret à réussi à nous faire désirer.
"Puis, venaient des tissus plus forts, les satins merveilleux, les soies duchesse, teintes chaudes, roulant à flots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient les étoffes lourdes, les armures façonnées, les damas, les brocarts, les soies perlées et lamées, au milieu d'un lit profond de velours, noirs, blancs, de couleur, frappés à fond de soie ou de satin, creusant avec leurs tâches mouvantes un lac immobile où semblaient danser des reflets de ciel et de paysage."
Double roman, où on suit plein d’espoir et de bonheur l’amour naître et croître entre Octave et Denise, et où on voit le génie de Mouret faire naître les ruines autour de lui. C’est dans les charniers que poussent les plus belles fleurs, et la passion amoureuse d’Octave pour Denise en est une…
Encore une fois, j’ai adoré ce roman. C’est un des livres les plus aboutis de la littérature française : la double histoire, la pulsion de vie qui déborde de chacune des pages, le style enchanteur sont simplement parfaits. J’aime énormément Denise : il est impossible de ne pas s’identifier à elle, douce et timide enfant, sur la réserve, mais capable d’emportement quand sa passion la dépasse. De la même manière qu’il est impossible de ne pas tomber sous le charme d’Octave, d’être prise dans les rets de sa séduction vénéneuse ni d’être touchée par sa passion, son désir grandissant pour Denise (mon dieu, les dernières pages du Bonheur me font plus d’effet que tous les Fifty Shades of Grey imaginables).
"Des femmes, pâles de désirs, se penchaient comme pour se voir. Toutes, en face de cette cataracte lâchées, restaient debout, avec la peur sourde d'être prises dans le débordement d'un pareil luxe et avec l'irrésistible envie de s'y jeter et de s'y perdre."
Des Rougon-Macquart, Le Bonheur des Dames est le roman de la pulsion de vie. Désir d’Octave pour Denise, désir de croissance du magasin, désir des clientes pour la sensualité des tissus, désir de Colomban pour Clara : ce roman est le roman de la libido. Sans qu’il y ait un mot cru ou osé, c’est un hommage à la sexualité de la femme : il est parsemé de descriptions qui, sous le couvert de tissus, de dentelles de la couleur d’une gorge de jeune fille, de soies rougissantes, montrent le désir de la femme.
A côté du magasin et de son dynamisme, les autres marchands apparaissent étriqués, vieillis, affaiblis. Même Geneviève, dont la jeunesse et la position devraient faire le pendant de Denise, perd peu à peu ce qui fait d’elle une femme. Il n’y a plus de sang, plus de vigueur de ce côté de la rue. Le sang s’est transformé en sève végétale et sans la libido du Bonheur, les Baudu sont voués à mourir.
En quelques mots, en quelques comparaison, en quelques magnifiques descriptions, Zola montre à la fois un Paris qui change, du Paris moyen-âgeux au Paris Haussmannien, et une philosophie de vie : vivre, c’est se battre, c’est avancer toujours, c’est être du côté du cœur qui s’affole sous le désir.
Lu dans le cadre du défi On a une relation comme ça, Emile Zola et moi