Ronsard, j’ai vu l’orgueil des colosses antiques,
Les théâtres en rond ouverts de tous côtés,
Les colonnes, les arcs, les hauts temples voûtés,
Et les sommets pointus des carrés obélisques.
J’ai vu des empereurs les grands thermes publiques,
J’ai vu leurs monuments que le temps a domptés,
J’ai vu leurs beaux palais que l’herbe a surmontés,
Et des vieux murs romains les poudreuses reliques.
Bref, j’ai vu tout cela que Rome a de nouveau,
De rare, d’excellent, de superbe et de beau:
Mais je n’y ai point vu encore si grand chose
Que cette Marguerite, où semble que les cieux,
Pour effacer l’honneur de tous les siècles vieux,
De leurs plus beaux présents ont l’excellence enclose.
Le thème du challenge Mille ans de littérature, organisé par Bookine, est cette semaine La Pléiade et Montaigne. C'est vers les poètes de la Pléiade que je me suis tournée, car les souvenirs qu'ils me rappellent sont doux et plein de saveur.
Mes grands-parents habitent dans un village près de Tours, et, quand je vais les voir, une des promenades récurrente est la visite du Prioré Saint-Côme, à Tours. C'est l'endroit où vécu Ronsard, et où ne restent maintenant que les ruines d'une abbaye gothique, et un merveilleux jardin de roses. C'est entre ces pierres et ces fleurs que j'ai annonné les poésies de Ronsard pour la première fois, et, à chaque fois que je pense à ce poète, c'est l'odeur des roses qui me vient en premier...
Mais ce n'est pas de Ronsard que je veux vous parler ce matin, mais d'un de ses amis, Joachim du Bellay, et de son recueil Les Regrets. Joachim du Bellay est un fils d'une noble famille angevine ; ami de Ronsard, il est un des fondateurs de la Pléiade, groupe de poètes réunis pour défendre la langue française et lui donner ses lettres de noblesse.
Poète donc, mais également diplomate, il accompagne son oncle à la cour pontificale de Rome. Il part plein d'entrain, joyeux à l'idée de découvrir l'Italie et ses Antiquités. Mais, hélas, c'est la nostalgie, le spleen, le mal du pays qu'il trouve, et qu'il chante dans Les Regrets.
Bien sûr, Heureux qui comme Ulysse est le plus célèbre de ces poèmes, celui qu'on a tous appris au moins une fois à l'école. Mais d'autres poèmes romantiques avant l'heure m'ont séduite dans ce recueil. Quel équilibre parfait dans le sonnet ! Quelle grâce dans l'alexandrin ... Je ne m'en lasse pas.
XIII
"Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S’ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S’ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison."
XIX
Je me promène seul sur la rive latine,
La France regrettant, et regrettant encor
Mes antiques amis, mon plus riche trésor,
Et le plaisant séjour de ma terre angevine.
Je regrette les bois, et les champs blondissants,
Les vignes, les jardins, et les prés verdissants
Que mon fleuve traverse: ici pour récompense
Ne voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux,
Où me tient attaché d’un espoir malheureux
Ce que possède moins celui qui plus y pense.
XXXIX
J’aime la liberté, et languis en service,
Je n’aime point la cour, et me faut courtiser,
Je n’aime la feintise, et me faut déguiser,
J’aime simplicité, et n’apprends que malice :
Je n’adore les biens, et sers à l’avarice,
Je n’aime les honneurs, et me les faut priser,
Je veux garder ma foi, et me la faut briser,
Je cherche la vertu, et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
J’embrasse le plaisir, et n’éprouve qu’ennuis,
Je n’aime à discourir, en raison je me fonde :
J’ai le corps maladif, et me faut voyager,
Je suis né pour la Muse, on me fait ménager :
Ne suis-je pas, Morel, le plus chétif de monde ?
LXXIX
Je n’écris point d’amour, n’étant point amoureux,
Je n’écris de beauté, n’ayant belle maîtresse,
Je n’écris de douceur, n’éprouvant que rudesse,
Je n’écris de plaisir, me trouvant douloureux :
Je n’écris de bonheur, me trouvant malheureux
Je n’écris de faveur, ne voyant ma princesse,
Je n’écris de trésors, n’ayant point de richesse,
Je n’écris de santé, me sentant langoureux :
Je n’écris de la cour, étant loin de mon prince,
Je n’écris de la France, en étrange province,
Je n’écris de l’honneur, n’en voyant point ici :
Je n’écris d’amitié, ne trouvant que feintise,
Je n’écris de vertu, n’en trouvant point aussi,
Je n’écris de savoir, entre les gens d’Église.
(Re)lu dans le cadre du challenge Mille ans de littérature française !