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La revue Nature a publié avant-hier l’article présentant le premier génome nucléaire (quasi) complet d’un homme ancien. Dix ans après le tour de force que constituait le séquençage du premier génome humain complet, c’est le neuvième génome à être publié (après 4 européens, deux coréens, un chinois, un africain). Le génome de l’Homme de Néandertal était attendu depuis quelques années : contre toute attente, c’est celui d’un habitant de l’Arctique, mort depuis 4 000 ans qui ouvre la porte à la paléogénomique. Cet individu appartient à la culture des Saqqaq, la première culture connue au Groenland, où elle s’est établie il y a 4 750 ans, jusqu’à il y a 2 500 ans.
Cette avancée a été permise par la révolution produite par le développement de nouvelles techniques révolutionnaires de séquençage qui permettent de séquencer, en trois jours, plus de 3 milliards de nucléotides (soit l’équivalent d’un génome humain), à comparer aux quelques 300 000 nucléotides par nuit qui peuvent être séquencés sur un appareil traditionnels. De plus, et c'est le plus important, le coût est beaucoup plus faible.
Comment le laboratoire d’Eske Willerslev a-t-il procédé ?
Une touffe de cheveux conservée dans le permafrost, le sol gelé du Groenland, a été récupérée dans un musée : ce type d’échantillon est réputé contenir plus d’ADN, de l’ADN mieux conservé, et être moins contaminé par de l’ADN moderne ou environnemental que, par exemple, les os. Malheureusement, et contrairement aux os, il n’est que très rarement disponible sur les sites archéologiques.
L’ADN extrait a été séquencé in extenso : 3,5 milliards de lectures, de taille moyenne de 55 nucléotides, on été effectuée. Par conséquent, on obtient une profondeur de lecture est de 20 sur 80% du génome : sur cette fraction du génome, chaque séquence a été lue en moyenne 20 fois. C'est donc une séquence d'une qualité exceptionnelle, équivalente à celle du génome humain de référence, et bien supérieure à celle de la plupart des génomes publiés actuellement.
Les séquences obtenues ont ensuite été comparées au génome humain : la très grande majorité (84,2%) des séquences pouvaient s’aligner convenablement sur cette séquence. La plupart des 15% restants ne correspond à rien de connu, ce qui n’est pas surprenant dans ce genre d’analyse car ils correspondent vraisemblablement des microorganismes du permafrost et nos connaissances dans la biodiversité microbienne sont extrêmement lacunaires.
Que dire des séquences humaines ?
Tout d’abord, elles permettent de connaître un peu mieux l’homme que nous étudions. Oui, c’est un homme car des fragments du chromosome Y ont été retrouvés ! Les allèles qu’il porte montrent qu’il était du groupe sanguin A+, très répandu dans le monde, et particulièrement dans les populations de la côte est de la Sibérie et du nord de la Chine.
Il avait sans doute les yeux bruns, la peau de couleur sombre, des cheveux noirs et épais, et était peut-être bien chauve. Son métabolisme était adapté au froid – et des analyses sur la composition isotopique de ces cheveux montrent également que son alimentation était majoritairement formé de protéines d’origine marine.
En plus de ces analyses anecdotique, des analyses globales ont été faites afin de mieux caractériser la population dans laquelle vivait cet homme.
Des calculs du taux de consanguinité montrent que celle-ci était assez élevée : en effet, chez notre patient, elle est équivalente à celle que montre l’enfant de deux cousins germains. Ces calculs sont susceptibles d’erreurs (en particulier, la population sibérienne choisie comme population de référence n’est pas forcément adéquate) mais d’autres indices génétiques sont également en faveur d’une consanguinité élevée.
Ce génome a également permis d’éclaircir l’origine des Saqqaqs, question débattue depuis qu’ils ont été découverts dans les années 50. On a longtemps pensé que cette population avait été fondée par des populations amérindiennes venues du Canada. Or, cette analyse montre que les Saqqaqs sont plus proches des populations Arctiques du Vieux Monde (en particulier des Nganasans, des Koryaks et des Chukchis) que des populations Arctiques du Nouveau Monde, comme les Inuits, les Amérindiens et les Na-Dene. De nos jours, les Koryaks et Chukchis habitent le Kamchatka et l’est de la Sibérie. L’analyse du chromosome Y (lignée paternelle exclusivement) rapproche cet individu des populations de Sibérie et des Américains d’origine, tandis que l’analyse du génome mitochondrial (qui trace la lignée maternelle) montre qu’il est proche des populations de la mer de Bering et des Eskimos asiatiques. Tous ces marqueurs sont donc cohérents envers une origine eurasienne de cette population.
Que conclure de cette analyse ? Bien sûr, le fait qu'elle nous a permis d'élucider les origines de cette population est; en soit, d'un intérêt scientifique certain. Cependant, il est peu probable que 500 000 $ aient été investis pour mettre au clair les origines génétiques d'une population arctique éteinte, ni que cette découverte ait pu faire la couverture de Nature.
En revanche, cette publication est la preuve d'une changement d'échelle en biologie. Des quelques gènes utilisés dans les années 80, aux séquences composées de plusieurs milliers de bases du début des années 2000, nous rentrons de plein pied dans l'ère de la génomique. Pendant longtemps, la paléogénétique, ses analyses sur quelques centaines de paires de bases, s'est placée en dehors de cette révolution. Les nouvelles technologies de séquençage se sont en revanche révélées totalement adaptée à cette discipline : on séquence beaucoup, pour pas cher, et on séquence des fragments courts, qui sont ceux retrouvés dans les fossiles archéologiques.
Cette publication (d'excellente qualité) signe la première des nombreuses découvertes qui vont en découler. A bientôt pour le génome du Mammouth et celui de Néandertal !