
C'est qu'il est doué, le réalisateur de Juno ! Voilà un nouveau petit trésor, dans un style très différent, mais toujours aussi punchy, dynamique, et au goût légèrement plus aigre.
Dès le générique de début, on est dans l'ambiance : les Etats-Unis vus du ciel, vastes villes, vastes champs, des nuages, qui se succèdent à un rythme de plus en plus rapide. On va voyager, on va voler et on va swinguer. A l'atterrissage, on découvre Ryan Bingham, la quarantaine séduisante, le sourire colgate, plus-si-jeune cadre dynamique. En quelques images, il nous décrit sa vie, dans les aéroports, dans des chambres confortables d'hôtels Hilton, et dans des bureaux où il exerce son métier : licencieur professionel.
La mobilité, Ryan en fait une philosophie dont il explique la théorie lors de conférences très courues : pour aller loin, il faut supprimer toutes les attaches. Pas de maison, de voiture ou d'appartement, bien sûr. Mais pas d'amis, pas de connaissances, pas de famille, pas de conjoint. Ses relations amoureuses sont comme le reste, elles se font au grée de rencontre dans des hôtels, avec d'autres nomades, et on se reverra si on se retrouve dans la même ville un autre jour.
La seule chose à laquelle Ryan est attachée : collectionner les miles, et devenir la septième personne à atteindre 10 millions de miles, avion à son nom et entretien avec le commandant de bord à la clé.
Première analyse que j'ai trouvée passionnante de notre monde, et qui m'a d'autant plus touchée que je travaille dans un milieu où la mobilité (surtout chez les jeunes, comprenez les moins de 40 ans) est très valorisée. Un milieu où la tendance est d'accumuler les CDD, pudiquement appelés post-docs, de 2, de 3, voire de 5 ans, dans des labos aux quatre coins du monde. Vous avez des attaches ? Skype est fait pour ça ! Bref, je poursuis après cette remarque personnelle.
Mais la belle vie de Ryan est menacée : une jeune (23 ans) femme aux dents longues et aux cheveux parfaitement attachés débarque et propose une révolution, arrêter d'envoyer des employés aux quatre coins des Etats-Unis, et virer les gens par webcam. Bien entendu, notre quadra s'inquiète de la disparition de son mode de vie nomade. Un peu de conscience professionnelle s'ajoute à tout ça, - car même lui trouve particulièrement inhumain d'expliquer le licenciement sans avoir le courage de se trouver face à face de la personne - le voilà chargé d'enseigner à la jeune donzelle la vraie vie : comment faire sa valise, engranger les miles, et expliquer aux gens que s'ils viennent de se faire virer à 57 ans de leur boîte, c'est nickel, c'est juste le début de leur nouvelle vie merveilleuse et toute rose. Deuxième dynamite : portrait d'une génération, la mienne, où le virtuel prend la place du réel, où on vire les gens via une webcam et où on se sépare par sms. Portrait d'une génération terriblement égoïste, où on prend les partenaires pour les jeter quand ils ont servi sans aucun remord. Portrait d'un monde où on est terriblement seul, parce que trop individualiste. La jeune winneuse, au schéma de vie parfaitement calculé, la réussite faite louve, rend finalement notre quadra beaucoup plus sympathique, et on en vient à préférer son nomadisme théorisé, à l'égoïsme triomphant de la seconde.
Je m'arrête là avant de raconter tout le film. Courrez-y, c'est une critique acerbe et cinglante de notre monde, superbement jouée, drôlissime et rythmée. Un petit bijou !