Nous filons sur le fleuve noir, aux bas-fonds lisses telle la pierre. Pas un bateau, pas un canot, pas le moindre éclat blanc. La surface se craquelle, traversée ppar le vent. L'estuaire est vaste, infini, les eaux saumâtres, bleuies par le froid. Le flot se trouble. Les oiseaux de mer planent et tournoient avant de disparaître. Rêve du passé, franchi en un éclair. Après les hauts-fonds, l'eau s'éclaircit, moins profonde, sur notre passage : barques tirées au sec pour l'hiver, embarcadères déserts. Ailés, comme les mouettes, nous nous élançons dans les airs, faisons volte-face.
Voici l'histoire d'un couple, Nedra et Viri. Ils vivent dans une maison pleine de charme, avec leurs deux fillettes. Elle est belle et élégante, parfaite maîtresse de maison, excellente hôtesse sachant créer l'ambiance douce et confortable propice aux confidences. Il est un excellent père et mari, un conteur de première catégorie qui fait surgir devant les yeux de ses filles les aventures du poney, de la tortue domestique.
Mais tant de perfection est-elle de ce monde ? Où est caché le vers dans ce fruit parfait ?
C'est un roman que j'ai trouvé merveilleux. C'est un livre sur la poursuite du bonheur, qui fuit dès qu'on essaie le saisir et s'enfuit de plus en plus loin. C'est un livre sur la vieillesse et la perte des illusions, sur ce qu'est une vie. C'est un livre qui débute là où se terminent les contes "Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants." : c'est quoi, vivre heureux ? Peut-on à 28 ans (âge de Nedra au début du roman) se dire que sa vie est finie, que plus rien ne méritera d'être raconté et que toute sa vie pourra être résumé par cet adjectif "Elle fut heureuse" ? Peut-on, à 28 ans, se condamner au bonheur ?
En plus d'être fin et intelligent, ce roman est servi par une plume admirable, toute en douceur qui me fait regretter de ne pas l'avoir lu en anglais. Je vous le conseille vraiment de tout coeur.