Le blog d'une curieuse, avide d'histoires, de récits, de livres, de film et d'imaginaire.
"Mais lorsqu'on ne conçoit, comme il est arrivé chez nous jusqu'à cette heure, l'existence d'une femme que d'une manière toute relative, dépendante, impersonnelle en quelque sorte et subordonnée, quel esprit veut-on qui préside à l'éducation des filles ? Que pourrait-on leur enseigner sérieusement, solidement, quand on suspends toute leur destinée aux bienséances éventuelles d'un mariage tout de circonstance ? quand l'intelligence peut devenir une difficulté, la raison un obstacle, la conscience une occasion de lutte ou de révolte, dans une existence où l'on ne peut prévoir d'autre vertu que la docilité au maître, la résignation au sort, quel qu'il soit ? Que dire, qu'enseigner dans de telles éducations, qui ne soit puérilité, futilité, vanité qu'un souffle emporte ?"
Marie d'Agoult est une de ces bas-bleu du XIXème siècle : une femme vive et intelligence qui s'estimait aussi digne qu'un homme de prendre la plume. Une sorte de George Sand avec qui elle partage un nom d'auteur masculin (Daniel Stern), une histoire sulfureuse avec un musicien (Frantz Listz pour Marie) avec qui elle s'enfuit et a quatre enfants.
George et elles sont longtemps écrit, pleines d'une admiration mutuelle ; mais leur rencontre mis fin à leur amitié : "plus naturellement douée, George Sand souffre rapidement de la raideur raisonneuse de Marie d'Agoult et de ses poses de femme du monde, tandis que cette dernière se montre jalouse de l'ascendant naturel que la forte personnalité de Sand exerce sur tout le monde, Liszt compris."
Lorsque Sand publie son journal, Marie d'Agoult décide que sa vie vaut bien la sienne et se met à la rédaction de ses mémoires. Ce sont les premières pages, de sa naissance à son mariage, que nous permet de lire la petite édition que j'ai entre les mains.
"Le jour suivant, je fut plus hardie ; sur un rayon le mieux à portée de ma main, je pris un volume, le plus petit, le plus joli ; je l'ouvris. Il y avait une gravure en tête ; c'était Le Diable amoureux, de Cazotte ; ç'aurait pu être pire."
Cette lecture me laisse avec des sentiments mitigés. J'ai d'une part l'impression d'avoir plongé en plein dans la vie d'une petite fille (riche) de la première partie du XIXème - une chose passionnante ! Des relations avec son père, de la question de son éducation, de ses sentiments religieux, de ses premières lectures, de sa puberté ou de la vie dans un couvent de jeunes femmes, je n'ignore plus rien. Et j'avoue que cette immersion m'a énormément plu : Marie est une femme intelligente, en avance sur son temps, au regard perçant sur ceux qui l'entourent, et ces pages s'enrichissent de ses observations. Les quelques pages sur l'hygiène au sein du couvent du Sacré-Coeur ouvrent les yeux sur le XIXème siècle : le corps, c'est le mal, donc il ne faut pas s'en occuper, et donc par exemple, pas le laver ...
Et en même temps, la personnalité de Marie transparait à toutes les pages ... Je croyais l'aimer, car la Béatrix de Balzac que j'adore est inspirée d'elle, mais dès les premières pages, j'ai eu envie de la baffer.
C'est pas la modestie qui l'étouffe, la chère Marie ! Persuadée de descendre d'une des familles les plus nobles de France du côté de son père et d'une des famille les plus estimées de Francfort du côté de sa mère, elle nous le fait savoir - et pas qu'un peu ! Sa rencontre avec Goethe à l'âge d'une dizaine d'année est environnée d'une aura romantique très lourde ; la description des invités prestigieux de sa grand-mère dans sa maison de Francfort est complaisante à souhait. Elle s'étend si longuement sur la perfection de son enfance qu'on a envie de rayer de la carte le château de famille.
En deux mots comme en cent : Marie d'Agoult se sentait supérieure à tous et à chacun, et elle n'éprouvait aucun remord à montrer son orgueil.
Conclusion : c'est un petit livre à la fois très intéressant, et profondément agaçant. Je n'ai aucune envie de lire la suite de ses mémoires (et en plus, cette c*** a connu Balzac, Hugo, Dumas, Rossini, Chopin, et les autres, je suis certaine qu'elle s'en vante comme si c'est elle qui les avait créés !), mais j'ai passé un agréable moment deux cents ans en arrière durant ma lecture.
Lu dans le cadre du challenge Dame de lettres !
Et elle est enterrée au Père Lachaise ... (j'irais voir sa tombe, un de ces jours... Je suis certaine que c'est un truc très romantique et très lourd...)