"I'm talking about taking the entire social experience of college and putting it on line."
L'avis de Céline
Pour tout vous avouer, quand j'ai entendu parler de ce film "sur facebook", je me suis désespérée sur la facilité avec laquelle les producteurs savent surfer sur les modes ; quand j'ai vu la bande annonce, j'ai baillé ; et alors, le "on ne peut pas se faire 500 millions d'amis sans se faire quelques ennemis", n'en parlons pas !
Il a fallu les efforts coordonnés de B. ("Tu ne veux quand même pas qu'on aille voir cette bouse ???" Il a tenu, le bougre !) et d'une critique de Télérama pour me décider.
Heureusement.
Ce film est une petite merveille qui ne parle absolument pas de facebook, mais qui raconte le chemin éternel du type ambitieux, dévoué à son ambition, et prêt à tout sacrifier, amis et proches, pour sa réussite.
Dans Shakespeare, il était chevalier et devenait roi en assassinant ses proches ; maintenant, c'est un geek qui se ballade en claquettes, et qui crée facebook. Mais fondementalement, rien ne change, et les morts s'accumulent autour de lui... Mark Zuckerberg est un personnage à la fois fascinant et détestable : dès la première scène (magistrale), le portrait se dresse, un gars brillant, maladivement intelligent, mais doué d'un sens social proche du néant, incapable de comprendre celui qu'il a en face de lui, et ses réactions.
Dans un monde comme celui de Harvard, où le réseau social fait plus que les simples compétences, où l'appartenance à des clubs selects (et vachement misogynes, soit dit en passant) c'est un handicap sérieux pour un jeune homme ambitieux.
C'est en analysant avec une intelligence foide et acérée les motivations de ceux qui l'entourent que Mark va avoir l'idée de génie. Que cherchent les gens ? Appartenir à un réseau ? Être reconnu comme ami par ceux dont on souhaite être l'ami ? Enquêter discrètement sur la vie privée des siens ? Egalement soumis à ces pulsions et incapable de les résoudre normalement (en allant parler aux gens, par exemple), Mark va créer The facebook. Et les choses étant ce qu'elles sont, les handicapés sociaux que nous sommes tous vont se ruer sur ce nouveau joujou.
Création de Facebook, début de l'ascension spectaculaire et début de l'isolement terrible, qui va peu à peu priver Mark de son humanité (ou du peu qu'il en avait) pour le transformer en machine, en jouet soumis à sa création, dévorée par elle, tant et si bien qu'il n'apparait plus à la fin du film que comme une extension de son ordinateur.
Là où ce film est également admirable c'est qu'il reprend les règles de la tragédie, en créant une véritable tragédie moderne : "Et puis, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir." dit Anouilh. Non, aucun espoir n'est laissé par ces visions de plus en plus fréquentes des procès qui l'opposeront plus tard à ses amis. Il trahira les frères Winclevoss ; il trahira Eduardo. Et ce ne sont pas les grands sourires et les démonstrations d'amitié qu'on voit à l'écran, quelques années plus tôt, qui permettent de douter de ce fait : tout cela se terminera mal, très mal.
Une merveille !
Il est'y pas mignon, cet Eduardo ?
L'avis de B.
The Social Network est probablement le meilleur film qu’il m’ait été donné de voir cette année. Je tiens en premier lieu à rassurer ceux qui appréhendaient le documentaire sur la création de Facebook ou une bouse pompeuse à la Oliver Stone, facebook n’est qu’un prétexte pour étudier le personnage de Zuckerberg. Ce geek inadapté socialement, fort d’une arrogance démesurée n’a qu’une idée, montrer au monde qu’il est un mec génial, en bref, obtenir la reconnaissance sociale.
Ce que je viens de vous dire, ainsi que tout le reste du propos du film est résumé en quelques dialogues crépitant dans une scène d’entrée magistrale : Zuckerberg, parfait petit con arrogant se fait larguer de manière extrêmement cinglante par sa copine de l’époque à qui il a expliqué qu’une fois qu’il serait enfin devenu un mec cool, il pourrait l’emmener dans les soirées des clubs privés de Harvard dans lesquels elle n’a absolument pas les moyens d’aller … Très adroit.
Par vengeance, le jeune geek va pirater le réseau de Harvard pour créer un site dans lequel on peut juger, de deux étudiantes de cette célèbre école, laquelle est la plus belle. L’affluence est telle qu’à 4h du matin, le réseau de Harvard plante. C’est sur cette base que part l’idée de facebook, explicitée par les jumeaux Wincklevoss, deux parfaits riches héritiers américains, tout ce que Zuckerberg a jamais rêvé d’être, mais en beaucoup moins intelligents…
Ce film est l’histoire de l’ascension sociale fulgurante de Zuckerberg, et de sa descente corrélative aux enfers. En effet, plus il monte, plus il s’enferme dans sa tour d’ivoire, que ce soit par la trahison répétée de tous ceux qui l’ont accompagnés ou entourés ou par sa richesse extraordinaire qui fait de lui quelqu’un d’anormal, quelqu’un dont on ne peut pas oublier qui il est ni ce qu’il a fait.
Le film s’articule d’un point de vue scénaristique par un jeu brillant de flashbacks entre la création progressive de facebook et les scènes de négociation entre Zuckerberg, ses avocats et ses anciens collaborateurs, chacun d’entre eux lui reprochant de lui avoir volé l’idée à 10 milliards de dollars. Ce jeu permet de mettre en valeur le vrai sujet du film, soit l’isolement progressif de Zuckerberg et les diverses actions qui l’ont conduit à la trahison de ses amis. Cela permet de montrer toute la frénésie créatrice de cette entreprise naissante, le rythme effréné et, petit à petit la mise à l’écart de son seul et unique ami qui ne prend pas la mesure de ce dans quoi il est pris. C’est d’autant plus intelligent que cela permet d’éclairer ce sur quoi porte la discussion, ce qui est reproché à Zuckerberg. Les divers procès sont vus en parallèle et s’irriguent les un les autres d’une façon particulièrement harmonieuse, tout en permettant au passage à la personnalité de Zuckerberg de se révéler.
Enfin, ces dialogues sont servis par l’excellente mise en scène de Fincher qui sait traduire cette fièvre et cet enfermement progressif à l’écran. On voit notamment une excellente scène lors de laquelle les jumeaux Wincklevoss, champions d’aviron, sont battus d’un cheveu sur la ligne d’arrivée, splendide métaphore de leurs relations avec Zuckerberg. Enfin et surtout, je tiens à pointer une scène d’anthologie : l’arrivée de Sean Parker, ancien fondateur de Napster qui va prendre contact avec les créateurs de facebook lors d’un diner mémorable. Cette scène fait même prendre à la mise en scène le pas sur les dialogues, pourtant brillants. Je ne sais même pas comment traduire ce que la caméra nous fait ressentir, soit la pure et simple séduction de Sean Parker, joué par un Justin Timberlake époustouflant !
Le film, outre ses dialogues et sa mise en scène est servi par une excellente équipe d’acteurs, au premier rang desquels Justin Timberlake que l’on n’attendait pas à ce niveau, Jessee Eisenberg et Andrew Garfield, parfait en jeune type gentil, intelligent mais pas brillant, qui se fait larguer par le train en marche sans même s’en rendre compte.
Jessee Eisenberg réussit quant à lui à rendre toute l’ambigüité de son personnage, un mec intéressant, beaucoup trop intelligent pour son bien, pas foncièrement méchant mais atrocement incapable de communiquer (à ce niveau c’est plus de la maladresse) tellement dur, tellement engoncé dans son inadaptabilité sociale qu’il en devient inhumain et qu’il heurte autrui sans aucun état d’âme. Comme lui dit une jeune avocate très perspicace qui l’a observé pendant ses négociations, you’re not a bad guy but you try so hard to be.
Courrez-y !