
Lorsque le récit commence, Thérèse Desqueyroux sort du tribunal, au bras de son avocat qui la ramène vers son père. De la conversation entre les deux hommes, on comprend que Thérèse a voulu assassiner son mari, mais que, par peur du scandale, son mari a fait un faux témoignage la disculpant.
On suit Thérèse et ses pensées le long du trajet qui la ramène vers son mari, le discours auquel elle réfléchit pour expliquer à son mari son geste, discours qu'elle n'aura jamais l'occasion de prononcer car il ne lui en laissera pas le temps, l'enfermant dans une chambre où elle va s'affamer.
C'est un portrait de femme absolument éblouissant, celui d'une femme trop forte, trop intelligente pour le rôle que la société veut lui faire jouer. Celui d'une femme qui se croit assez forte pour s'adapter à la petite famille sclérosée dans laquelle son mariage la fait entrer, qui choisit d'elle même un mari médiocre, parce que "les deux milles hectares de Bernard ne l'avaient pas laissée indifférente", parce qu'elle est amoureuse de ses pins. Celui d'une femme qui s'aperçoit, par hasard, que sa vie est trop petite pour elle, qu'elle aurait pu en vivre une autre, à fumer des cigarettes dans un café parisien, à discuter avec ses pairs.
Le portrait d'une femme qui vit dans ses pensées, dans ses rêves, dans le bruissement des pins et la fumée de cigarette.
"Jamais Thérèse ne connût une telle paix - ce qu'elle croyait être la paix, et qui n'était que le demi-sommeil, l'engourdissement de ce reptile dans son sein."
C'est aussi le portrait d'un monde, d'une société où les gens qui faillissent disparaissent de l'histoire familiale, des photos, des souvenirs. Un monde qui, quelque soit par ailleurs l'appartenance politique, droite ou gauche, chrétiens ou athés, vit de ses principes, de ses "idées saines", du "comme il faut". Où l'individu n'existe plus, mais où la communauté, la Famille prime. On voit Anne, sa belle-soeur, brisée par cette loi, comme signe avant-coureur du destin de Thérèse.
J'avoue avoir un peu étouffé dans ce monde, cherchant comme Thérèse un souffle de liberté. Les moments de respiration sont rares, et bienvenus.
Mais il y a le style de Mauriac, absolument parfait :
"que faisait Jean Avédo à cette heure ? Peut-être buvait-il dans ce petit bar dont il lui avait parlé ? Peut-être (tant la nuit était douce) roulait-il en auto, avec un ami, dans le bois de Boulogne désert. Peut-être travaillait-il à sa table, et Paris grondait au loin ; le silence, c'était lui qui le créait, qui le conquérait sur le vacarme du monde ; il ne lui était pas imposé du dehors comme celui qui étouffait Thérèse ; ce silence était son oeuvre et ne s'étendait pas plus loins que la lueur de la lampe, que les rayons chargés de livres."
Mauriac est un auteur que je découvre avec cette oeuvre, et que je compte bien continuer à lire !
PS : en revanche, j'ai été très déçue par les dernières pages qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. Je ne trouve pas cette fin dans l'esprit du reste du livre. Même la description de Paris fait artificielle, après la brillante évocation du sud ouest. Quel dommage !