
L'Antigone d'Anouilh a longtemps été un de mes textes préférés. Je l'ai lu et relu étant ado, émue jusqu'aux larmes par le personnage d'Antigone, dans toute sa violence.
Et puis j'ai fait du grec, et puis j'ai traduit un passage de la Médée d'Euripide. J'étais toujours adolescente, et comme beaucoup d'adolescentes, je passais beaucoup de temps devant mon miroir. Et quand j'ai traduit ce texte : "Dès qu'elle eu vu la parure, elle n'y pu tenir. Elle accorda à son époux tout ce qu'il lui demandait. Il était à peine parti et les enfants avec lui, qu'elle avait pris les beaux tissus brodés, qu'elle s'en revêtait, qu'elle posait le bandeau d'or sur ses cheveux bouclés, arrangeant sa coiffure devant un miroir brillant et riant à la vaine image d'elle-même qu'il renvoie. Puis, elle se lève pour parcourir la chambre, allant d'un pas dansant sur ses pieds nus, enchantés par les beaux cadeaux. Elle se dresse sur ses pointes pour voir sur ses talons tomber la robe", quand j'ai traduit ce texte, j'ai eu l'impression qu'un pont se dressait entre moi, et une jeune fille d'il y a 2 500 ans.
Ce long prologue pour dire que lorsque j'ai découvert l'existence de Médée de Jean Anouilh, j'ai sauté sur l'occasion et j'en ai profité pour relire celle d'Euripide.
Ces deux pièces parlent de la même partie de l'histoire de Médée. Nous sommes dix ans après la première rencontre entre la princesse de Colchide et Jason, aventurier à la recherche de la Toison d'or. Dix ans après que Médée ait trompé son père, tué son frère et volé la Toison pour la remettre à son amant. Et après dix ans d'amour, Jason abandonne Médée, pour épouser la fille de Créon. Et là, Médée entre dans une violente colère, envoie à sa rivale une robe qui va la brûler vive et tue de sa propre main les deux enfants qu'elle a eu avec Jason.
J'aime énormément la pièce d'Euripide. La fureur de Médée trahie est communicative et sa tristesse de même. Les longs monologues où son désir de vengeance suite à la trahison que lui fait Jason combat avec son amour de mère sont proprement tragiques : "Allons, ma main, mon audacieuse main, prends le couteau, allons vers la barrière qui ouvre sur la vie maudite, ne faiblis pas, oublie que ces enfants sont ton bien le plus cher, que tu les mis au monde. Oublie les pour un court instant. Tu pleureras ensuite. Tu les tues et cependant tu les aimes. Ah ! Pauvre femme que je suis !".
Et bien, en ouvrant Anouilh, j'ai été déçue.
Déjà, parce que j'ai retrouvé presque mot pour mot ce qui m'avait émue dans Antigone : mais ce qui émeut une première fois, semble louche à la seconde. J'ai eu l'impression d'y lire une facilité d'écriture, et non plus le cri d'un coeur tourmenté.
Mais surtout, parce que de cette tragédie, et de cette héroïne mythique, Anouilh fait un drame sentimental et une pauvre fille abandonnée.
Oh crime ! Qu'est devenue Médée, sorcière, puissante femme, princesse ? Une vagabonde, qui vit dans une roulotte, et se languit de son homme ? "Cette femme attachée à l'odeur d'un homme, cette chienne couchée qui l'attend.". Si elle a trahi son père, c'est par pure luxure, parce qu'elle était en manque de Jason et que son désir surpassait tout. Et si elle tue ses enfants, c'est encore par amour trompé pour lui.
Dommage. Ce qui me plaisait dans ce mythe, c'était justement ce personnage de femme, presque divinisé dans sa colère et sa vengeance. La voir transformée en criminelle de fait divers ... non.
Ces deux pièces sont lues dans le cadre du défi Mythes et Légendes !
