"O cendres d'un époux ! ô Troyens ! ô mon père !
O mon fils que tes jours coûtent cher à ta mère !"
Je ne voulais pas le croire. On me l'avait dit, pourtant. Mais moi, ayant lu et aimé Le Cid, je me suis d'amblée placée dans le camps de corneilliste, et ai honni Racine. Alors que je ne l'avais même pas lu. Ou alors y'a longtemps. Ou bien, j'ai oublié.
Bref, je suis arrivée vierge de tout Racine à la Comédie Française. Je me suis assise dans le fauteuil confortable où au moins, pour une fois, on était pas trop serré avec les manteaux et tout*
(*j'essaie de voir les choses du côté positif : on était assis dans les petites loges qui surplombent la scène. Un endroit merveilleux pour se faire voir. Pour voir aussi en se penchant par dessus la rambarde. Malheureusement, on était au second rang. On voyait donc la moitié de la scène. Voilà.)
Et j'ai fermé les yeux parce que de toute façon, il n'y avait rien à voir.
Et là, j'ai entendu : la langue de Racine. Mon dieu, ce qu'il écrit bien ! Que les alexandrins coulent naturellement gracieusement ! Quel plaisir que ce texte ...
L'histoire commence après la guerre de Troie. Chacun des vainqueurs est rentré chez lui avec sa proie, sa captive. Agamemnon remporte Cassandre, Ulysse, Hécube, et Pyrrhus, fils d'Achille, roi d'Epire, rentre avec Andromaque, veuve d'Hector, et son fils.
Pyrrhus est aimé et fiancé à Hermione, fille d'Hélène, laquelle est adorée d'Oreste, fils d'Agamemnon. Mais Pyrrhus est séduit par sa captive, qui reste fidèle à l'ombre d'Hector. Et pour elle, il abandonne Hermione qui lui en voue une haine jalouse et féroce.
Lorsqu'Oreste arrive, il porte le message de tous les rois grecs : le fils d'Hector et d'Andromaque doit mourir, et c'est à Pyrrhus de le mettre à mort. Ce dernier se retrouve donc pris en tenaille entre ses obligations (dont il n'a que faire), son amour pour Andromaque et sa haine plus perfide de cette femme qui lui résiste.
A Andromaque, le choix atroce : doit-elle laisser mourir son fils, et devenir la femme de Pyrrhus, ou rester la veuve d'Hector, mais voir le fils d'Hector mourir.
Ce qui m'a frappée dans la pièce, c'est le poids de l'héritage : ils sont tous fils et filles de. On cherche dans Hermione la beauté de sa mère, dans Pyrrhus le courage de son père, dans Oreste, le caractère royal de son père. Et tous échouent : Hermione ne séduit pas l'homme qu'elle aime, Pyrrhus ne tue pas le fils d'Hector, lui dont le père avait tué Hector, et Oreste ne se fait pas obéir de Pyrrhus.
Seule de la génération précédente, subsiste Andromaque, et on comprend vite pourquoi, face à tous ces rejetons sans grandeur, elle ne parvient pas à oublier Hector.
Bien que cet aspect m'ait sauté aux yeux, et qu'il soit pour moi la raison d'être de la pièce (une sorte de Confessions d'un enfant du siècle à la sauce classique), la mise en scène est complètement passé à côté : Pyrrhus est joué par Eric Ruf, extraordinaire acteur dont la présence soutient la pièce, mais qui ne semble pas être le jeune garçon qu'est le fils d'Achille. Bien au contraire, c'est un homme qui se dresse, mûr, face à une femme mûre, rejettant en arrière les deux gamins que sont Hermione et Oreste.
La mise en scène est d'une sobriété dépouillée. Quelques colonnes sur lesquelles s'appuient les acteurs. Des tenues flottantes imitant les chitons antiques. Un éclairage imitant la lueur du jour qui vient et qui se retire, pour mettre en valeur l'unité de temps.
Et des acteurs singeant, dans leur imobilité, celle des colonnes. Vraiment, j'ai été surprise d'entendre un texte si plein de passion dit par des bouches si calmes et si paisibles. Si passion, si désespoir, si amour il y a, il faut le chercher ailleurs que dans ces êtres statiques dont les regards ne se croisent jamais.
Malgré tout, une diction parfaite. Le texte est sublimé par ces voix merveilleuses.
Une vision mitigée donc, pour ce texte splendide et merveilleusement porté, mais dont la mise en scène semble écrasée par la puissance de Racine.
"Dieux ! Quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons ! Quels serpents traîne-t-elle après soi !
Hé bien ! Filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
A qui destinez vous l'appareil qui vous suit ?
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ?"
Passons au texte, maintenant. J'ai relu la pièce, pour me réimprégner de sa beauté. C'est splendide, peut-être plus encore que dans la pièce. La passion des amours, la cruauté, l'égoïsme, si étroitement encadrés dans des vers de douze pieds ! Et le rythme ! Quel langue magnifique, dont je ne peux me lasser...
Même en connaissant la fin, les hésitations d'Andromaque, la trahison d'Hermione, la lâcheté d'Oreste, j'ai pris plaisir à suivre le déroulé de la pièce, et sa fin inéluctable et tragique.
Une très belle pièce, que je vous conseille de tout coeur (en revanche, pas besoin d'aller la voir au théâtre, même s'ils la rejouent la saison prochaine) !
Lu dans le cadre du challenge Mille ans de littérature française
Et du challenge Tous au théâtre sur whoopsy-daisy !