"OH LORD, WE PRAY THEE - NOT THAT WRECKS SHOULD HAPPEN - BUT THAT IF THEY DO HAPPEN, THOU WILT GUIDE THEM TO THE COAST OF CORNWALL FOR THE BENEFIT OF THE POOR INHABITANTS."
A l'occasion de la merveilleuse rétrospective Hitchcock à la Cinémathèque, j'ai eu l'occasion de découvrir l'Auberge de la Jamaïque sur grand écran. Je ne connaissais pas ce film, même si je me souvenais du ravissement que j'avais éprouvé en lisant le roman de Daphnée du Maurier dont il est tiré (et de pas grand chose d'autre).
Peu importe : dès le début, le spectateur est au courant de tout. La première scène, tempête en carton-pâte, pose le thème : nous sommes avec des brigands, des pirates, des naufrageurs qui éteignent les phares, échouent les navires, tuent les équipages et pillent la cargaison.
Peu après, nous découvrons l'innocence. La naïve et charmante Mary (Maureen O'Hara), orpheline, cherche l'Auberge de la Jamaïque, pour y rejoindre sa tante Patience. Hélas, au moment où la voiture s'approche du lieu sinistre et gothique, les chevaux s'emballent, les cochers refusent de s'arrêter et déposent la jeune femme bien loin, près de la demeure du Squire Humphrey. Ce dernier, très galant et assez étrange, accueille la jeune beauté avec plaisir et la conduit jusqu'à son oncle.
Dès le début, le spectateur a toutes les pièces en main : Joss, le mari de Patience, est le chef des naufrageurs, et Sir Humphrey est son commanditaire. Mais la jeune femme (et son compagnon, le policier James Treharne) ne découvre cela que petit à petit et c'est un régal que de la voir se jeter dans la gueule du loup à plusieurs reprises.
Une scène en particulier est merveilleuse : Treharne demande à Sir Humphrey de l'accompagner pour arrêter Joss (sans savoir le lien entre Joss et Humphrey) ; le vieux Squire l'accompagne pour communiquer en parallèle les informations sur le prochain navire à attaquer ; et Joss essaie de faire croire au jeune policier qu'il est terrifié, alors qu'il sait que rien ne peut l'inquiéter. Le jeu de Charles Laughton en Humphrey, plein de gouaille et d'humour, dérangé et fou, enrichit considérablement la scène, transformant ce moment tragique où le jeune héros est prisonnier de filets qui ne vont pas tarder à se refermer sur lui, en scène de comédie et d'humour. Avec Humphrey, on sourit des efforts de Treharne.
Ce décalage entre ce que sait le spectateur et ce que sait l'héroïne est un des régals de ce film, et fait apparaître Mary encore plus jeune et naïve (malgré son fichu caractère). L'autre régal est l'ambiance que crée si bien Daphnée du Maurier et que Hitchcock reproduit avec bonheur : la Cornouaille, la tempête, la nature déchaînée et sauvage, les hommes durs et violents, les femmes soumises. Nous sommes plongés en plein dans une aventure pleine de violence, et Mary est si peu faite pour y survivre !
Bref, ce film est un petit régal. Pas un chef d'oeuvre, certes, mais une douceur un peu sucrée, un peu acide, et terriblement addictive !