
Quel étrange petite (quoique relativement épaisse avec ses presque 800 pages) chose que ce roman. Il y a du Jane Austen, du Jules Verne, du Victor Hugo voire du Emile Zola dans ces pages, et quelque chose d’un conte de fées.
L’histoire est simple, et dramatique. Deux sœurs, aussi dissemblables que possibles, vivent sur une île anglo-normande, dans un petit paradis de vent, de granit, de mer et de jasmin. L’aînée, c’est Marianne : elle n’est pas jolie, mais est vive, dynamique, tenace comme un petit bout d’émeraude, avec sa figure jaune et ses vêtements verts. Un vrai petit lutin, égoïste et ambitieuse, des défauts qui feraient les qualités d’un homme. La cadette, c’est Marguerite : une fée blonde aux yeux bleus, toute vêtue de blanc, de rêves et d’amour. Car elle aime, Marguerite, elle concentre toute l’énergie de ses 7 ans à aimer, sa sœur, son île, ses parents, et tout ce qui l’entoure.
Arrive dans l’île, juste en face de chez elles, dans la rue du Dauphin Vert, un jeune garçon de leur âge, William Ozanne. Dont elles vont toutes les deux tomber amoureuses.
Lui, c’est Marguerite qu’il aimera. Même s’il a beaucoup d’affection pour Marianne, dont l’énergie le porte pour devenir officier dans la marine, qui l’a accompagné lors de l’agonie de son père, même si il a partagé un moment merveilleux avec elle sur un clipper arrêté dans leur baie, le Dauphin Vert, c’est Marguerite qui l’aime, c’est avec elle qu’il partage un pays merveilleux fait pour leur amour.
William part et se retrouve colon en Nouvelle-Zélande. Un soir, il écrit en Angleterre pour demander la main de sa bien-aimée. De longs mois après, ce n’est pas Marguerite qu’il voit descendre du Dauphin Vert, mais Marianne : dans sa lettre, il avait confondu les deux noms.
C’est un roman terrible, car William n’aura la force de dire la vérité à aucune des deux sœurs. Ces trois êtres vont construire leur vie sur un mensonge : celui de l’amour de William pour Marianne.
Ce n’est pas qu’un roman d’amour, c’est aussi un roman d’aventure à la Jules Verne : les passages sur l’établissement du settlement, la guerre contre les Maoris, ou le personnage de Tai Haruru ne dépareraient pas dans l’Île Mystérieuse. On y lutte pour sa vie, avec acharnement, on y défriche, on y « civilise », mais on garde les corsets et la moustache victoriens ; mais on garde la vaisselle anglaise et la dentelle française.
Mais ce roman ne parle pas que de cela. Il faut le lire pour les descriptions longues, amples, hugoliennes : le paysage, le pays n’est pas un décor. Il est plus qu’un personnage, il devient … l’évocation des sentiments que les êtres se portent. Le Dauphin Vert, le capitaine O’Hara et Nat représentent les meilleurs côtés du caractère de Marianne ; l’île anglo-normande est le symbole de l’amour de William et Marguerite et la vallée des Vert Pâturages celui de William pour sa fille Véronique.
Il y a beaucoup de mysticisme dans ce livre. Dieu est tout le temps présent, mais un dieu tendre et doux qui s’incarne dans le vent qui parcourt les rues de Saint-Pierre et du stettlement ; la course d’un goéland symbolise la prière et l’amour ; et des coquillages ramassés sur une plage font passer quelque chose de beaucoup plus fort qu’un simple souvenir. C’est un roman porté par le surnaturel, Marianne est une enfant échangée par les lutins, et les fées parcourent les grèves. Le Dauphin Vert arrive toujours au moment propice, comme si le Capitaine O’Hara était un étrange demi-dieu chargé de veiller sur leur bonheur – ou du moins sur le déroulement du récit.
Un très beau roman, très dur et très étrange mais qui m’a donné envie de lire d’autres écrits de cette auteur.