
En 1941, le narrateur effectue la traversée entre New-York et Buenos-Aires sur un paquebot où voyage également le champion mondial d'échecs Czentovic, aussi prodigieux qu'il est bête, frustre et désagréable. Un de leur compagnons de voyage propose un pari : une partie d'échec entre Czentovic d'un côté et une dizaine de curieux de l'autre. La première partie se passe normalement : les amateurs perdent et le champion du monde gagne facilement. Mais lors de la revanche, un inconnu, spectateur de la première partie, intervient dans leur jeu, et permet au narrateur et à ses compagnons de finir sur une très honorable "partie nulle".
Qui est cet inconnu ? Comment peut-il maîtriser si parfaitement les échecs alors qu'il se déclare lui même un joueur amateur qui n'a vu depuis vingt à vingt cinq ans un échiquier ?
Je ne m'intéresse pas d'ordinaire aux échecs et, sans la réputation de Zweig, je serais volontairement passée à côté de ce très court récit. J'aurais eu tort, car on ne parle pas ici de jeu. Les échecs ne sont ici qu'une stratégie pour résister à une des tortures les plus atroces mises en place par les nazis pour faire craquer un homme : l'isolement le plus parfait, la privation de toute distraction. Cette nouvelle décrit de manière effroyable comment, de manière très simple, dans le confort le plus humain, on peut mener un être au bord de la folie. Et comment M. B va leur résister, en nourrissant son cerveau grâce aux échecs...
Même si cet aspect est le plus frappant et le plus émouvant de ce récit, je ne pense pas que ce soit le seul. Qui est "le joueur d'échec" ? M. B ou Czentovic ? Leurs histoires ne sont-elles pas à mettre en parallèle ? Czentovic, "apathique et taciturne", est aussi isolé qu'a pu l'être M. B lors de son emprisonnement. L'un comme l'autre sortent de cette solitude grâce aux échecs, et chacun y gagne une forme de folie...
C'est un récit très poignant, très prenant, d'une richesse insoupçonnée à la première lecture. Le seul reproche que je devrais lui faire, c'est sa taille. Une petite centaine de pages me semble insuffisant pour tout ce que ce récit porte.
Comme toujours avec Zweig, un chef d'œuvre ...