
Ahhh, qu'elles sont diaboliques, ces femmes. Qu'elles sont éloignées de gentilles et douces oies blanches qui écoutent le narrateur dans un salon cossu, qui frémissent et s'inquiètent. Pas de peur, chez les Diaboliques, pas d'angoisse ou de crainte. Un courage, une force animale les poussent vers le plaisir et la débauche. Bien loin des donzelles du quartier Saint-Germain, les Diaboliques sont maîtresses de leur vie, elles choisissent l'homme qu'elles vont aimer, ou dans les bras duquel elles vont jouir. Elles aiment le plaisir charnel, et comme des animaux, des panthères à la fourrure moirée, des serpentes froides et cruelles, elle s'y complaisent.
De quoi faire trembler les dames comme il faut, dont Barbey règle le compte en quelques mots acerbes : "Mlle Delphine de Cantor, élevée aux Bénédictines où, sans nulle vocation religieuse, elle s'était horriblement ennuyée, en était sortie pour s'ennuyer dans sa famille, jusqu'au moment où elle épousa le comte de Savigny, qu'elle aima, ou crut aimer, avec la facilité des jeunes filles ennuyées à aimer le premier venu qu'on leur présente."
Même si c'est d'elles que Barbey recherche la compagnie, pour elles qu'il écrit cet opus qui doit les éloigner du péché, ce ne sont pas ces cygnes qui font rêver et fantasmer Barbey. C'est plutôt la jeune fille qui traverse toutes les nuits la chambre parentale, longe le lit où dort sa mère et ronfle son père, pour aller rejoindre son amant et, sans un mot, coucher avec lui. C'est plutôt la jeune femme, maîtresse d'arme, toujours vêtue en homme, qui va tuer de sang froid l'épouse de son amant. La noble espagnole vertueuse qui se venge de son époux en se prostituant dans les rues les plus sales de Paris. La rougissante maîtresse d'un officier de Napoléon qui va prendre comme amant l'un après l'autre, tous les collègues de son compagnon. C'est ... Ce sont toutes ces femmes indépendantes et égoïstes, ces femmes qui font l'amour comme le font les hommes, qui sont aussi diaboliques que leurs compagnons.
"Cependant, les crimes de l'extrême civilisation sont, certainement, plus atroce que ceux de l'extrême barbarie par le fait de leur raffinement, de la corruption qu'ils supportent et de leur degré supérieur d'intellectualité."
C'est ce que Barbey va prouver à toutes les pages de ce recueil, s'amusant à imaginer les tortures les plus perverses et et les plus vicieuses, à faire frissonner ses lectrices attentives, comme il les voit frissonner dans les salons. Et il le fait avec style, avec allure, avec son écriture si chargée, si élégante, si précieuse. Je ne résiste pas au plaisir d'un dernier extrait :
"Il faisait ce jour-là, un de ces temps d'automne, gais et clairs, à arrêter les hirondelles qui vont partir. Midi sonnait à Notre-Dame, et son grave bourdon semblait verser, par-dessus la rivière verte et moirée aux piles des pont, et jusque par-dessus nos têtes, tant l'air ébranlé était pur ! de longs frémissements lumineux."
J'ai adoré !