Le blog d'une curieuse, avide d'histoires, de récits, de livres, de film et d'imaginaire.
"Alors vint la Mort, le long du boulevard dans la lumière sépia du crépuscule."
Blonde n'est pas une biographie de Marilyn. Ou plutôt, Blonde n'est pas qu'une biographie de Marilyn.
Bien sûr, l'Actrice Blonde se nomme Norma Jean Baker, aka Marilyn Monroe. Bien sûr, les événements qui lui arrivent correspondent plus ou moins à ceux que wikipédia signalent dans la biographie de Marilyn : une mère à moitié folle, une enfance ballottée, un mariage très jeune avec un très jeune homme, la Guerre et la séparation, quelques photos à Hollywood, le cinéma qui la découvre et la fabrication de "Marilyn Monroe"©, un premier mariage avec un ex-sportif qui s'achève au bout de quelques mois, un second mariage avec un dramaturge new-yorkais qui s'achève au bout de quelques années, une liaison avec un président des Etats-Unis et une fête d'anniversaire où elle rayonne et où elle s'effondre.
Bien sûr, tout y est. Mais, de ce matériel, Joyce Carol Oates crée une fable à vocation presqu'universelle : quels sacrifices, quelles souffrance la société/les hommes/les vilains capitalistes/les "on" de tout poil demandent aux jolies jeunes filles pour devenir des icônes.
"Pourquoi ne lui suffisait-il pas d'être mignonne et sans détour comme les autres jolies filles ; pourquoi essayait-elle d'être profonde ?"
Blonde est d'abord un portrait : celui d'une jeune fille, d'une jeune femme timide et mal dans sa peau, dont l'immense beauté est une malédiction. Si belle que les femmes se méfient ; si belle que tous les hommes (ou presque) la désirent ; si belle que personne ne prend la peine d'aller au delà de sa beauté, de sa blondeur, de son air candide et de son corps voluptueux pour aller chercher au delà, l'être humain blessé ou heureux.
"Je n'étais ni une poule ni une pute. Mais il y avait le désir de me percevoir de cette façon. Parce qu'on ne pouvait pas me vendre autrement, je crois. Et je comprenais que je devais être vendue. Car alors, je serais désirée et je serais aimée."
Cette jeune fille pure jusqu'à l'extrême entame avec la célébrité une descente aux enfers, d'abord lente puis de plus en plus rapide, au fur et à mesure que Norma Jeane s'efface devant l'Actrice Blonde, que d'autres appellent Marilyn.
Je n'aime pas les descentes aux enfers d'habitude - et j'avoue que même là, j'ai du m'arrêter une centaine de pages avant la fin pour faire une pause -, mais celle là est d'autant plus admirable que c'est celle qui la subit qui en est la cause. Car, qu'est-ce qui destinait Marilyn à sombrer dans la drogue et la dépression si ce n'est une part sombre en elle, un revers de la médaille fraîche et délicate de la pom-pom girl ? N'y-a-y-il pas une parenté avec certains des héros de Zola dans cette manière dont, coûte que coûte, quelques soient les efforts et la bonne volonté de Norma Jeane, le spectre de sa mère la poursuit ?
"Aucun homme n'avait le droit de l'épouser et de vouloir la changer ! Comme si proclamer Je t'aime c'était proclamer j'ai le droit de te changer."
Blonde est également un roman de révolte : contre l'establishment, contre les hommes, contre la manière dont les puissants abusent de leur pouvoir sur les plus faibles. Tous ceux qui cotoient Norma Jeane ne veulent voir dans la jeune femme que celle qu'ils y cherchent : l'épouse parfaite de l'Ex-Sportif, la Martha du Dramaturge, la poule aux oeufs d'or du Studio, la jeune actrice prête à tout (et y compris à la prostitution) pour percer de Z ou la Poule de luxe du Président. Voulant plaire à tous, peu sûre d'elle, Norma Jeane se perd dans ces multiples facettes qu'on lui demande, ne trouvant jamais, ou presque, de sérénité. Il apparait petit à petit que sa seule fuite possible est dans la drogue, dans un sommeil sans rêve dont on ne sort que par une activité exubérante.
"Et là, le plus spectaculaire de tous, l'immense panneau de Niagara, dix bons mètres de large avec, en travers, la vedette féminine blond platine, corps voluptueux, beau visage provocant, lèvres entrouvertes d'un rouge humide suggestif, si fascinant que l'on plaisantais à Hollywood sur la façon dont les voitures ralentissaient ou s'arrêtaient même carrément en passant devant."
Et puis, il y a le désir des hommes. Le corps de Marilyn, ce corps dont Norma Jeane ne sait que faire, dont la petite jeune fille croyante a honte. Cette manière dont elle est transformée par ceux qui veulent la vendre en fantasme masculin. La manière dont les hommes la désirent, corps et âme. Cette folie qui s'empare autour de Marilyn :
"Car ce qui compte, c'est moins les paroles des gens que leur façon de vous parler sérieusement et sans subterfuge en vous regardant dans les yeux."
Le tout écrit avec la plume de JCO, toujours fine et percutante, juste, parfois drôle, parfois triste, mais toujours émouvante. Je finis ce billet avec quelques extraits qui m'ont frappée (mais ce long roman en est plein...) :
"L'Actrice essuya furtivement quelques larmes. C'était l'effet de ces paroles sincères et de la fumée âcre du cigare flottant dans sa direction."
"L'Actrice blonde n'était pas jalouse du besoin fraternel et et enfantin que l'Ex-Sportif avait d'hommes machos. C'était un besoin qu'elle partageait."
"Le but du théâtre - Aristote l'a dit le premier, et mieux que tout le monde -, c'est de susciter une émotion profonde chez le spectateur et par l'intermédiaire de cette émotion de produire une catharsis de l'âme."
"MARILYN MONROE était un robot créé par le Studio. Fichtrement dommage qu'on n'ait pas pu le breveter."
En bref, et pour résumer : un chef d'oeuvre de Joyce Carol Oates. Encore un.
Lu en lecture commune avec George !
Pour le challenge Marylin Monroe
Et le challenge Joyce Carol Oates,
Et le challenge Yes we can