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Le blog d'une curieuse, avide d'histoires, de récits, de livres, de film et d'imaginaire.

Joyce Carol Oates : Vous ne me connaissez pas

vousnemeconnaissez.jpg"Je ne suis pas ce dont j'ai l'air. Je suis tellement plus."
Dans ce recueil de nouvelles, JCO démontre encore une fois ce qu'elle sait le mieux faire : décrire l'horreur, l'atrocité, l'inhumanité, la perversion, et lui donner un charme douloureux. Délicieuses pourritures est un titre qui aurait aussi pu convenir à ces textes. Je suis restée scotchée à ces récits, mais en éprouvant de temps à autres le besoin de poser le livre, d'entrecouper ma lecture par d'autres livres, car la charge émotionnelle de ces textes est trop forte.
Les trois premières parties (la quatrième est légèrement différente, et j'y reviendrai) permettent à JCO d'explorer ce qui fait qu'un être humain, vous, moi, votre voisin peut un jour basculer et devenir un criminel, un assassin, un violeur, une victime. Ou ne pas le faire, y réchapper de justesse, parce qu'un voisin ouvre sa porte à ce moment là. Parce qu'un détail se produit qui éloigne, définitivement ou provisoirement, le drame.
Ca met mal à l'aise. Vraiment. Parce que les sentiments qui y sont décrits sont tellement humains. Parce qu'on se met dans la peau de l'assassin, du violeur, de celui qui enfonce la tête du noyé une bonne dernière fois. Qu'on comprend leurs motivations, humaines, oh, trop humaines. Une bonne dose d'égoïsme, une touche d'insensibilité, deux doigts d'indolence. Un crime.
Oh, bien sûr, tous ces crimes ne sont pas des faits divers. JCO sait mettre le doigt là où ça fait mal, et juger équivalent le skin head qui tabasse un noir à mort, et le fils qui laisse son père âgé dans une maison de retraite. Le violeur-tueur en série, et la femme qui, par lâcheté, refuse d'ouvrir sa porte à l'homme qu'elle a aidé en prison. La jeune fille qui fait un faux témoignage par amour, et les enfants qui veulent tuer les responsables de l'incendie dans lequel est mort leur père. Le mari idéal qui, lassé des gérémiades de son beau-frère, laisse échapper qu'il vaudrait mieux qu'il se suicide, une bonne fois pour toutes.
C'est dur. Puissant. Violent. Comme toujours JCO. Que j'aime cette auteur !

"Cela aurait pu être le même jour répété, ou cela aurait pu être quatre-vingts jours. C'était un endroit, pas un jour. Comme une dimension dans laquelle on pourrait se glisser, ou être aspiré, par un courant sous-marin. Elle est là, mais personne n'en a conscience. Tant que vous n'y êtes pas, vous ne savez pas ; mais quand vous y êtes, vous ne savez rien d'autre. Alors vous êtes incapable d'en parler autrement que comme ça. En bégayant, et dans l'ignorance."

Heureusement, les deux dernières nouvelles sont un souffle d'air frais. En particulier, Trois filles, dont je suppose que les échos autobiographiques sont forts, qui raconte la rencontre, en un frileux soir de Mars, entre deux jeunes filles (dont l'auteur ?) et Marilyn Monroe. J'ai aimé la description de la librairie dans laquelle elles se trouvent, Strand, une librairie d'occasion qui m'a fait penser à Shakespeare and co à Paris, une sorte de refuge chaleureux après la dureté des autres nouvelles.

"Jeunes, têtues, arrogantes, peu sûre de nous quoique "brillantes" - du moins nous avait-on amenées à le croire. Nuos ne nous pensions pas jeunes, cela dit : tu avais dix-neuf ans, moi vingt. Nous étions mûres pour notre âge, et immatures. Nous étions intellectuellement averties, et affectivement imprévisibles. Nous révérions quelque chose que nous appelions art, dédaignions quelque chose que nous appelions la vie. Nous avions une conscience exacerbée de nous même. Et pourtant : avec quelle patience, quel désir de protection, nous avons monté la garde près de Marilyn Monroe, assise sur son tabouret dans la section JUDAICA, dépassée de temps à autre par des clients qui marmonnaient "pardon", ou ne semblaient même pas remarquer sa présence, ni la nôtre."
C'est le genre de paragraphe qui me donne envie de ressortir mon cahier à citations, pour garder une trace d'un texte aussi parfait.

Cette critique rentre dans le cadre du challenge Yes we can,
yeswecan.pngAinsi que dans le cadre du challenge Joyce Carol Oates.
oates-challenge
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V
<br /> <br /> J'ai beaucoup aimé ce recueil moi aussi, et particulièrement aussi cette dernière nouvelle, très touchante, un moment de grâce pour les deux jeunes protagonistes, comme pour le lecteur.<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Oui ! elle fait beauocup de bien après le reste du recueil, beaucoup plus sombre...<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> Encore un recueil de nouvelles à explorer même si je dois avouer que je n'aime guère les nouvelles, toutefois "Les trois filles" me chatouille l'envie encore plus fort, je le note donc dans mon<br /> petit calpin magique... merci pour ta participation au Challenge !!<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Les trois filles est l'exception dans ce recueil assez difficile ...<br /> Et de rien, c'est vraiment un plaisir de participer à un challenge comme ça !<br /> <br /> <br />
A
<br /> Comme tu en parles bien!<br /> Et, evidemment tu me donnes vraiment envie de lire ce recueil. Mais tu as raison, il faut savoir lire d'autres ouvrages entre deux nouvelles, voire même entre deux chapitres quand on lit un<br /> roman.<br /> Je suis happée vraiment (je ne trouve pas d'autre mot) par Oates. Mais elle est presque "dangereuse" pour mon moral. Je mets une bonne dizaine de jours à sortir de l'état angoissé dans lequel elle<br /> me laisse. Je n'avais jamais connu cela avant.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> C'est une auteur extrêmement douée, qui fouille dans ce qu'il y a de plus malsain dans l'âme humaine. Le résultat : ce sont des oeuvres d'une puissance rare, mais ... le miroir qu'elle nous tend<br /> n'est pas tendre.<br /> Je crois qu'effectivement il y a peu d'auteurs qui se sont ainsi intéressés à nos "délicieuses pourritures". Quelques romans de Zola, peut-être ...<br /> <br /> <br />