"Et puis, avec les premières brumes de l'Automne on rentre au foyer à Paimpol ou dans les chaumières éparses du pays de Goëlo, s'occuper pour un temps de famille et d'amour, de mariages et de naissances. Presque toujours, on trouve là des petits nouveaux-nés, conçus l'hiver d'avant, et qui attendent des parrains pour recevoir le sacrement du baptême : il faut beaucoup d'enfants à cette race de pêcheurs que l'Islande dévore."
Tous les étés, les pêcheurs de Paimpol et sa région partent en pêche au large de l'Islande. Pour eux, c'est une période étrange qui débute, à quelques uns dans un bateau minuscule, à travailler par quart de quelques heures, sous le soleil de minuit. Pour leurs femmes, leurs fiancées, leurs amoureuses restées au pays, c'est l'inquiétude, la solitude et l'angoisse dans la chaleur (on est en Bretagne, faut pas exagérer) et les fleurs de l'été.
Quand les brumes de l'automne arrivent, quand les fleurs se fanent, quand l'hiver arrive, la joie retourne avec les bateaux de pêche.
C'est ce que raconte Pêcheur d'Islande. Deux hommes, deux pêcheurs. Deux femmes. Yvonne, une vieille grand mère adorable à la large coiffe et au petit foulard brun, pas bien riche, mais honnête. Une vieille veuve de pêcheur, mère de pêcheur, grand-mère de pêcheur, qui a donné son tribu à la mer : de toute sa famille, il ne lui reste que son dernier petit-fils, Sylvestre.
Sylvestre est marin sur la Marie. Un bon gars, tendre et honnête, une crème aux yeux clairs, qui courtise sagement la soeur de Yann.
Yann, c'est autre chose : il est aussi marin sur la Marie, mais c'est un grand gaillard sombre, taciturne, orgueilleux. Sylvestre et lui s'entendent comme frères, mais le tendre Sylvestre ne parvient pas vraiment à comprendre pourquoi Yann reste si insensible aux avances de Gaud, sa cousine.
Gaud, à côté de ces trois êtres purs et durs comme de la roche, c'est une fille de la ville, une élégante aux mains soignées, mais au coeur lumineux, pris en une soirée par le fier Yann.
"Dehors, ce devait être la mer et la nuit, l'infinie désolation des eaux noires et profondes."
Mais plus que l'amour et la tendresse qui lient ces quatre êtres, c'est la mer qui est au coeur de ce roman. Une mer divinisée, sauvage et généreuse, celle qui donne la vie et celle qui la reprend. J'ai énormément aimé cet aspect, qui m'a rappelé des contes et des histoires de Bretagne. La mer... l'autre épouse, celle qui vole une part de l'âme des maris, avant de les voler tout entiers. Celle que les hommes aiment et que les femmes haïssent.
"Mais c'était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien; elle trainait sur les choses comme des reflets de soleil mort."
Et ce qui ne gâche rien, c'est un roman excessivement bien écrit. Le style m'a souvent fait penser à de la poésie, comme un roman écrit par Baudelaire. Le vocabulaire est riche, excessivement complexe, et d'une précision parfaite. Le rythme des phrases, comme une musique, donne à sentir l'angoisse de l'attente, la monotonie des journées en mer, ou les ravissements du sentiment amoureux. Mais contrairement, à d'autres auteurs de l'époque, il n'est jamais lourd, et s'arrête toujours avant l'emphase.
En résumé, un magnifique roman que je conseille à tous les amoureux de la langue française - et de la Bretagne.
"Le navire se balançait lentement sur place en rendant toujours la même plainte monotone comme une chanson de Bretagne, répétée en rêve par un homme endormi."