" 'Pauvre petit chat !' s'écria-t-elle enfin, et ces mots furent pour Maisie une épitaphe sur la tombe de son enfance."
Maisie a trois ans lorsque ses parents divorcent. Chacun d'entre eux voulant la garder pour elle - ou aucun des deux ne voulant vraiment s'occuper d'elle ?- elle est partagée entre son père et sa mère : six mois chez l'un, à entendre du mal de l'autre ; six mois chez l'autre, à entendre le premier se faire maudire. De ce qui se passe chez son père, sa mère ne veut pas en entendre parler ; et parler de sa mère est impensable chez son père.
A chaque maison sa vie et à chaque maison sa gouvernante : la charmante Miss Overmore chez son père, et la vieille et maternelle Mrs Wix chez sa mère.
Bien entendu, son père va épouser la jeune et jolie gouvernante, qui deviendra Mrs Beale, tandis que sa mère va trouver un homme charmant dans la personne de Sir Claude. Sir Claude est si beau que toutes en tombent amoureusent : Mrs Wix, bien sûr, mais aussi Mrs Beale, rapprochée du beau jeune homme par la petite Maisie. Et les sentiments que Maisie portent à son beau-père sont trop forts pour n'être que filiaux...
C'est un très beau roman que nous offre Henri James. Pour tout vous dire, c'est un roman qui me réconcilie avec James : depuis ma tentative avortée des Ailes de la Colombe, il y a 6 ou 7 ans, James ne me tentait plus. Mais là, dans la délicate traduction de Marguerite Yourcenar, j'ai retrouvé tout ce que j'aimais en lui. Son regard sur le monde, et sur le monde adulte surtout, est d'une cruauté au scalpel. Sous les remarques détachées, se déroule en creux le portrait de parents inconséquents, égoïstes, abandonnant leur fille à leurs nouveaux époux. Nouveaux époux eux-même plus intéressés par la découverte de l'amour, et par la manière dont ils peuvent utiliser Maisie pour se rapprocher l'un de l'autre.
La seule animée de sentiments maternels est Mrs Wix, avec toute sa maladresse et son intelligence relative. Mais en peu de temps, l'amour va elle aussi la troubler et la conduire à négliger la petite fille.
Au milieu de ce monde d'adultes, l'enfant, avec son regard naïf et pur. C'est Maisie qui nous sert de lien avec ce monde, et entendre ces relations adultes vues par ses yeux d'enfants, a un côté très humoristique - et légèrement malsain en même temps : "le monsieur qui est avec maman. Est-ce que ça n'arrangerait pas les choses, comme ça les arrange que vous soyez ma gouvernante chez papa ?".
Un très beau morceaux de psychologie, et servi par une langue délicate et raffinée.
Lu en lecture commune avec George, Anne et Reka
Lu dans le cadre du challenge Henri James