"Un héros est un gentleman d'une espèce trop rare pour être envoyé à la retraite au zénith de sa vie."
C'est du moins ce que pense Thackeray, qui trouve que le roman de Walter Scott, Ivanhoé, finit bien trop tôt, et bien trop mal. Il est amoureux de la pauvre Rebecca, ce cher Thackeray, depuis qu'il est écolier, et estime que le sort que lui réserve l'auteur prolifique et médiéviste est bien malheureux ; que la vertu n'est pas récompensée ; que Rowenna est une sale garce frigide ; et qu'Ivanhoé devrait plutôt épouser la première que la seconde
Aussitôt dit, aussitôt fait : après avoir proposé à Dumas de finir Ivanhoé, Thackeray prend lui même la plume, et voilà ce petit bijou d'humour anglais, que n'aurais pas renié les Monthy Pythons.
"Car Ivanhoé était, avons-nous besoin de le préciser, un héros de roman ; et c'est le devoir et la fonction des gentleman de cette profession de ne manquer aucun événement historique, de surprendre les conspirations, d'être dans la confidence des rois et de vivre des aventures extraordinaires."
Mais Ivanhoé à la rescousse n'est pas que cela. Thackeray profite de cet hommage pour critiquer la mode des romans médiévistes, de leurs invraisemblances et de leurs inexactitudes historiques. Son Ivanhoé, blessé après une bataille, survit à six ans de coma ; pour se cacher de tous, il se déguise avec une moustache et des lunettes. Doué d'une force surhumaine, il oxcit les ennemis à la douzaine, capable à lui seul de vaincre une armée entière. Il compose des poèmes fins et intelligents comme il respire, il ... bref, c'est un parfait chevalier, tellement parfait qu'il n'en est aucunement crédible.
Etonnement, sa Rowenna, grenouille de bénitier et peste jalouse, me semble infiniment plus réaliste.
"De l'avis de tous, le chevalier aux lunettes était un gentleman respectable aux manières distinguées qui donnait des fêtes élégantes - quoiqu'un peu guindées - et que l'on accueillait dans les meilleurs cercles de York."
L'autre critique que Thackeray assène sur Walter Scott et ses comparses, c'est la vision du Moyen-Âge qu'ils portent : époque courtoise et élégante, où le sang ne tâche pas, et où les cadavres ne puent pas. Thackeray prend l'option inverse, et montre une époque bien plus cruelle, bien plus sombre, mais sans doute moins romantique et plus réaliste.
"Le récit de toutes les batailles, assauts et autres abordages auxquels Sir Wilfrid prit part ne ferait rien que lasser le lecteur tant il est vrai que rien ne ressemble plus à la décapitation d'un infidèle d'un coup de hache que la décapitation d'un autre infidèle par la même hache."
Au delà de la farce parodique, Ivanhoé à la rescousse soulève bien des questions. Ce petit roman (même pas une heure de lecture) se révèle donc une très agréable surprise.
C'est un classique anglais !