"Peut-être me suis-je rendu digne de cette insigne et royale faveur en siégeant au tribunal consulaire et en combattant pour la cause royale au treize vendémiaire, à Saint-Roch, où je fus blessé par Napoléon."
César Birotteau raconte la vie du personnage éponyme, un tourangeau monté à Paris pour y être commis dans une parfumerie, la Reine des Roses, avant d'en devenir premier commis puis patron quand les patrons précédents décident de prendre leur retraite. Il y vit entouré de sa femme, Constance, une ancienne beauté de Paris, mais qui a su garder la tête sur les épaules et un solide bon sens, qu’il aime comme un adolescent aime son premier amour (c’est extrêmement touchant), et de sa fille Césarine, qu’il élève comme une demoiselle, et que tous les commis veulent épouser, pour hériter de la baraque (ça, c’est du Tillet) ou parce qu’ils sont sincèrement amoureux de la jeune fille (ça, c’est Anselme Popinot).
Quand commence le roman, César s’apprête à recevoir la légion d’honneur, en reconnaissance de sa réussite (après tout, de rien du tout, il est devenu un vrai bourgeois), mais également de son engagement royaliste de la blessure reçue contre Napoléon, lors des combats de Saint-Roch, le 13 Vendémiaire An IV.
Pour fêter ça, il décide d’agrandir sa boutique, de donner un bal, et se met à tremper dans une spéculation qui fait trembler sa femme, qu’un rêve prémonitoire, où elle se tenait mendiante devant la porte de sa boutique, trouble.
Je dois vous avouer que je n’ai pas tout saisi de la finesse de la spéculation. Et la confusion que j’ai entretenue durant toute ma lecture entre Ragon et Roguin ne m’a pas aidée, au contraire. Je plaide aussi coupable pour les pages consacrées aux aspects juridiques de la faillite d’un commerce de détail dans les années 1820 – je les ai justes parcourues.
J’ai été en revanche saisie par la richesse et la causticité des descriptions que fait Balzac. César Birotteau est l’occasion d’un tour d’horizon de la bourgeoisie parisienne, la dépensière, l’avare, la jeune, la vieille, la sage, la dissolue. Et chaque portrait est accompagné de quelques phrases qui font mouche.
« Monsieur Molineux était un petit rentier grotesque, qui n’existe qu’à Paris, comme un certain lichen ne croît qu’en Islande. Cette comparaison est d’autant plus juste que cet homme appartenait à une nature mixte, à un Règne Animo-Végétal […] Ce petit vieillard ennuyeux n’avait ni femme, ni enfant, ni neveu, ni nièce ; il rudoyait trop sa femme de ménage pour en faire un souffre-douleur, car elle évitait tout contact en accomplissant rigoureusement son service. Ses appétits de tyrannie étaient donc trompés ; pour les satisfaire, il avait patiemment étudié les lois sur le contrat de louage et sur le mur mitoyen ; il avait approfondi la jurisprudence qui régit les maisons à Paris dans les infiniment petits des tenants, aboutissants, servitudes, impôts, charges, balayages, tentures à la Fête-Dieu, tuyaux de descente, éclairage, saillies sur la voix publique, et voisinage d’établissements insalubres. »
Et au milieu, il y a la très charmante histoire d’amour entre Césarine et Anselme, presque trop belle pour être vraie, qui m’a fait beaucoup penser à ce qu’aurait pu être l’amour entre Colomban et Geneviève Baudu, dans le Bonheur des Dames.
De façon générale, César Birotteau m’a fait beaucoup penser au Bonheur. J’avais lu quelque part que Zola écrit les Rougon-Macquart pour faire la Comédie Humaine du Second Empire. Si c’est le cas, le Bonheur est la réponse de Zola à César Birotteau. Beaucoup de notions abordées par Zola dans son roman sont déjà présentes en filigrane ici : la spéculation immobilière (ici à Madeleine, chez Zola à Opéra, mais les deux quartiers ne sont pas bien loin) ; l’organisation d’un petit commerce ; les changements que la publicité y apportent ; les relations patrons/employés…
Lu dans le cadre du challenge Balzac