"Mais [ces détails] sont indispensables à l'intérêt de cette histoire, à laquelle le public actuel croira déjà difficilement, et qui débute par un fait presque ridicule : l'empire que prenait une femme de soixante ans sur un jeune homme désabusé de tout."
Âgé d'une trentaine d'année, Godefroid est un homme au bout du rouleau : désabusé, aigri, ruiné, endetté. Pour essayer de se refaire, pour prendre des vacances de l'agitation parisienne, il abandonne son appartement coûteux, pour un tout petit appartement, dans un hotel particulier au coeur de l'Île de la Cité, mais aussi éloigné de Paris que s'il était situé en Patagonie. Cette simple annonce :
"Petit logement de soixante-dixfrancs par mois, pouvant convenir à un ecclésiastique. On veut un locataire tranquille ; il trouverait la table, et on meublerait l'appartement à des prix modérés en cas de convenance mutuelle."
excite sa curiosité et son désir de calme et de solitude. Lorsqu'il parait, il est mis en présence d'une femme que tous semblent révérer : Mme de la Chanterie, qui vite le séduit par sa douceur maternelle et sa foi catholique militante.
Il s'installe et, en découvrant les autres pensionnaires, se doute vite que d'étranges manoeuvres ont cours dans cette demeure. Des gens vont et viennent ; de fortes sommes d'argent sont échangées.
Mais qui sont ces Frères de la Consolation ? Et quel est leur grand projet ?
"Il a fait passer toute une contrée de l'état sauvage à l'état prospère, de l'état irreligieux à l'état catholique, de la barbarie à la civilisation."
C'est un roman encore une fois excessivement moral. Il fait pendant à l'Histoire des Treize, à Splendeur et Misère des courtisanes, voulant montrer que la puissance de la bonté n'a rien à envier à celle du mal, ou de la débauche, pourvue qu'elle reste secrète et n'ait pour seule ambition que faire le bien. Madame de la Chanterie est une anti-Vautrin, son pendant féminin et bon, au passé aussi mystérieux que lui.
Etonnament, alors que le moralisme du Médecin de campagne (référence si dessus) m'avait agacée, ce roman m'a séduite. Même si je ne partage pas la foi ni la morale des Frères de la Consolation, leur bonté, leur conviction en la bonté de l'être humain rend ce livre magnifique et donne espoir en l'avenir.
"Arrivé rue Notre-Dame-Des-Champs dans la partie aboutissant à la rue de l'Ouest, qui ni l'une ni l'autre n'étaient encore pavées à cette époque, il fut surpris de trouver de tels bourbiers dans un endroit si magnifique. On ne marchait alors que le long des enceintes en planches qui bordaient des jardins marécageux ou le long des maisons, par d'étroits sentiers bientôt gagnés par des eaux stagnantes, qui les convertissaient en ruisseaux."
Et puis, il y a Paris, personnage magnifique et exotique de ce livre. L'Île de la Cité avant la construction de l'Hôtel Dieu et ses rues moyen-âgeuses dans lesquelles ont croit deviner l'ombre de Quasimodo. La rue d'Assas avant qu'elle ne soit pavée, bordée de jardins et de ruisseau. Arriver à imaginer cette rue maintenant ultra-chic, bordée par le Lycée Montaigne et l'Ecole Alsacienne, en repaire de brigands, infréquentable le soir après 6h, boueuse et marécageuse, relève de l'expérience inédite.
Alors que ce roman m'avait une première fois résisté, la seconde a été la bonne !
Lu dans le cadre du challenge Balzac.