"Jamais plus sous le même toit que Michel Mulvaney. En fait, il me semblait que Michel Mulvaney était mort et qu'un autre homme avait pris sa place, un homme qui ne lui ressemblait même pas tant que ça ; et peut-être était-ce une bonne chose."
L'immense avantage de Joyce Carol Oates, c'est que l'on sait à l'avance qu'on va lire une histoire douloureuse, perverse, une critique acerbe de l'American way of life, et qu'en plus, elle va être admirablement écrite. Cela ne me dérange absolument pas, car j'aime me laisser emporter dans l'univers glauque de cette auteur. Mais elle devrait faire attention : cela risque de lui coûter le Nobel...
Nous étions les Mulvaneys ne déroge pas à la règle, et le fait avec un talent admirable. Dès les premières pages, dès que l'on rentre dans la ferme fantasque et chaleureuse des Mulvaneys, on sait que quelque chose s'est produit, que quelque chose a détruit cet univers, et que la fille Mulvaney, la belle, la lumineuse, la chaleureuse Marianne en est la cause.
Le père Mulvaney, Michel, est un être brut, robuste, fort, dynamique, une de ces forces de la nature, domestiqué par sa femme Corinne. Michel est l'énergie qui fait mouvoir la ferme, que Corinne la canalise. Pépiant comme un oiseau, s'occupant deci delà, préparant les repas, et priant, priant beaucoup, elle fait tourner la maisonnée. Quatre enfants à s'occuper, une ferme, et des quantités d'animaux, de chevaux, d'oiseaux, de chats, c'est du travail.
Des quatre enfants, Michael est l'aîné, champion de foot dynamique et américain jusqu'au bout des ongles ; Patrick vient après, le rêveur plongé la tête dans les livres ; puis Marianne, la belle Marianne, la fée joyeuse de la famille ; et enfin Judd, le petit dernier, celui qui nous introduit dans cette famille, et qui regrette les années perdues d'avant sa naissance.
Et puis, une nuit, lors d'une soirée de Saint-Valentin trop arrosée, le drame va advenir. Pendant longtemps, la pudeur (et non je ne sais quel suspense comme j'ai pu lire ça et là), la pudeur va empêcher la famille d'accepter ce qui s'est passé : le viol de Marianne.
De cette tâche de sang et de sperme originale, les Mulvaneys ne se remettront pas, et la famille implosera. C'est ce que nous raconte Oates, décortiquant comment cette première fêlure va s'étendre, puis briser le miroir parfait de la famille Mulvaney. La honte, la douleur, l'amour tellement fort qu'il en blesse, la déception, et quelque part, la force de s'en sortir.
Ce n'est pas un roman pessismiste : il se termine même en happy end, un happy end un peu forcé. Mais c'est un roman violent, sombre, déchirant qui m'a bien souvent laissée en larmes.
L'Express en a publié le premier chapitre, juste pour vous allécher.
Un grand roman, et du JCO typique