"En fait, parmi les très jeunes gens, nombreux étaient ceux qui voyaient ou croyaient voir en Dorian Gray la réalisation effective d'un modèle dont ils avaient rêvé quand ils étaient à Eton ou Oxford, un modèle qui conjuguât un peu de la culture véritable de l'humanisme et toute la grâce, toute la distinction, toute la perfection de maintien d'un citoyen du monde."
J’ai été surprise par ma lecture du Portrait de Dorian Gray, car je n’ai pas lu le livre que je m’attendais à lire, ou du moins pas que le livre que je m’attendais à lire (et c’est toujours une excellente nouvelle !). Le portrait de Dorian Gray, c’est certes l’histoire d’un jeune homme débauché dont les traits ne portent jamais la trace des méfaits et du vieillissement qui ternissent son âme – mais son portrait.
"Un jour, quand vous serez vieux, flétri et laid, quand les pensées auront marqué votre front de leurs rides et que la passion aura marqué vos lèvres de ses feux hideux, vous l'éprouverez atrocement. Pour le moment, où que vous alliez, vous charmez le monde entier. En sera-t-il toujours ainsi ? ... Vous avez un visage d'une admirable beauté, M. Gray. Ne froncez-pas le sourcil. C'est la vérité. Et la Beauté est une forme de génie, supérieure en fait au génie, car elle ne recquiert aucune explication. Elle est l'une des grandes vérités de notre monde, comme l'éclat du soleil, le printemps, ou la réflexion dans les eaux sombres de cette conque d'argent que nous appelons la lune. Impossible de la mettre en doute. Elle est, de droit divin, souveraine."
Mais surtout, ce roman ciselé comme un bijou parle de l’influence qu’une âme profondément perverse, celle de Lord Henri, peut avoir sur un homme jeune et malléable. Lord Henri pervertit Dorian, le rallie à sa cause : celle de la vie comme œuvre d’art. Dorian, vierge et pur, semble un violon sur lequel Lord Henri crée le dandy parfait. Il y a du Pygmalion dans cette œuvre. C’est également un roman merveilleux sur la place de l’art dans une vie parfaite et idéale. La vie de ces dandys est gouvernée par l’art et la beauté, qui les éloigne du vulgaire. Le meilleur exemple en est l’idylle tragique se nouant entre Dorian et Sybill Vane. Dorian tombe amoureux de la jeune actrice car elle joue merveilleusement les rôles tragiques. Lorsque son amour se trouve partagé, qu’elle se met à l’aimer, que leur relation risque de sombrer dans la normalité, la jeune fille perd son talent : elle ne peut plus feindre des sentiments qu’elle éprouve. Alors, l’amour de Dorian disparaît complètement, et ne renait qu’après le suicide, véritablement tragique, de la jeune fille.
"Non, elle ne renaîtra plus jamais. Elle a joué son dernier rôle. Mais cette mort solitaire dans une loge miteuse, il faut que vous vous la représentiez simplement comme un passage étrange et haut en couleur d'une tragédie jacobéenne, comme une scène merveilleuse de Webster, de Ford ou de Cyril Tourneur. C'est une jeune fille qui n'a jamais vraimet vécu, elle n'a donc jamais vraiment péri."
Ce n’est donc qu’à travers le prisme de l’art que ces êtres ont capable de ressentir. Les arts forment d’ailleurs le déclencheur de l’histoire. La peinture révèle à Dorian sa beauté, et sa vanité ; le théâtre lui apprend la passion amoureuse ; et la littérature le corrompt dans ce petit livre jaune que lui donne Lord Henri.
"Seuls les êtres superficiels ont besoin de plusieurs années pour se débarrasser d'une émotion. Dès qu'un homme est maître de lui, il peut aussi aisément faire cesser une douleur qu'un plaisir. Je refuse d'être à la merci de mes émotions. Je veux m'en servir, en jouir et les dominer."
C’est un roman délicieux, que j’ai énormément aimé. Il est précieux et délicat comme ces œuvres fin-de-siècle qui me tentent de plus en plus. Mais il est léger comme une conversation, plein d’esprit comme une conversation avec Oscar Wilde. Je me suis baignée dans les débats si fins et si riches sur l’art et la beauté, j’ai apprécié les réparties de Lord Henri, j’ai pleuré avec Basil, et surtout j’ai rêvé en imaginant Dorian, éphèbe parfait, à la mesure de l’art classique et de l’art renaissance. J’ai envie de lire A rebours de Huysmans, maintenant !
"L'un des charmes du mariage réside en ce qu'il fait du mensonge une nécessité vitale pour les deux parties."
"Lord Henri secoua la tête : 'Les jeunes Américaines sont aussi habiles à dissimuler leurs parents que les Anglaises leur passé.' "
Et puis, le style de Wilde, son esprit caustique ... Je ne le connaissais que par ses pièces de théâtre et je me demandais comment il se traduirait dans un roman. La réoinse est : délicieusement. Ses aphorismes, qui se mêlent avec bonheur au thème même du roman, montrent un dandy plein d'esprit, la personne à avoir dans son salon pour être certaine de ne jamais s'y ennuyer.
Lu dans le cadre du challenge Borne to be Wilde
Lu dans le cadre du challenge God save the livres !
Lu à peu près en même temps (je suis en retard par rapport au 1er Mars) que Cecile et Lou