"Laura Farina ne fit pas attention à lui, car elle ne savait pas quoi faire des bottes. Le sénateur, de son côté, ne savait pas quoi faire de Laura Farina, n'ayant pas l'habitude des amours imprévues."
Ce recueil de nouvelles se passent dans les mers des Caraïbes, dans un monde étrange et sauvage, indigent et riche à milliers. Dans ces îles, sur ces terres, des aventures étranges et familières se produisent : un ange tombe du ciel, un camelot se relève d'une blessure mortelle de crotale, un étrange transatlantique fantôme fascine les habitants, la mer se met à sentir la rose...
Ces événements ne semblent pas provoquer plus de surprise que cela. Des attroupements, des foires se créent autour du 'phénomène', mais l'apparition d'un ange déchu ou l'odeur surprenante de la mer, pas plus que les fantômes ou les intersignes, ne semblent du domaine du merveilleux.
"ils décapitaient sur leur passage tout camelot professionel ou d'occasion, et non seulement les indigènes par précaution, mais aussi les Chinois par distraction, les nègres par habitude, et les Hindous parce qu'ils charment les serpents"
Toutes ces nouvelles ne m'ont pas autant plues. Si j'ai adoré Le vieil homme (l'histoire de l'ange tombé), Le noyé le plus beau du monde (un noyé extraordinaire apparait sur la côte d'un village) et Morts constants au delà de l'amour (un politicien se voit proposer par un brigand, sa fille vierge). D'autres moins séduites, et deux m'ont franchement ennuyées (je n'ai pas vraiment compris où elles voulaient en venir) : Le dernier voyage du vaisseau fantôme, et Blacanan.
"En quête de santé vinrent les malades les plus défavorisés des Caraïbes : une pauvre femme qui depuis son enfance comptait les battements de son coeur, lesquels n'atteignaient plus le chiffre adéquat, un Jamaïquain qui ne pouvait dormir tellement le tourmentait le bruit des étoiles, un somnambule qui se levait la nuit défaire endormi ce qu'il avait fait éveillé, et beaucoup d'autres moins gravement atteints."
A la fin du recueil, se trouve une nouvelle, ou un court roman étrange et dramatique, un conte sauvage et burlesque, celui qui donne son nom au recueil : Enrendira est une petite jeune fille, esclave d'une grand-mère énorme et tyrannique. Un soir où Erendira, épuisée, oublie d'éteindre sa chandelle, un vent mauvais la renverse et met le feu à la demeure baroque de la grand-mère. A Erendira de rembourser, et de trouver l'argent en se prostituant, sous la baguette de la grand-mère. Mais la jeune fille n'est pas insensible à l'amour, et quand sa route croise celle d'Ulysse, des désirs de vengeance naissent dans son corps pur et torturé.
Cette nouvelle est splendide et bouleversante. L'opposition (et le jeu de miroir) entre la jeune fille et sa sorcière de grand-mère, entre Ulysse et Amadis, entre la vie de prostituée de la grand-mère jeune, et celle de la petite Erendira, est passionnante et mériterait une étude approfondie.
Ce recueil est du grand, du beau Garcia Marquez, avec ce mélange de grâce et d'horreur, d'étrangeté et de banalité qui construit son style - et qui en fait sa difficulté.
Je n'ai pas retrouvé partout la grâce qui m'avait saisie dans l'Amour au temps du choléra, ou dans Mémoire au temps du choléra ; malgré tout ce recueil m'a séduite.
Lu en lecture commune (compliquée par mon étourderie naturelle) avec Sabbio !
Lu dans le cadre du challenge des Nobels