Raymon se sentit flatté d'inspirer un attachement si généreux, et la reconnaissance, la compassion, un peu de vanité peut-être, lui rendirent un moment d'amour.
Indiana est le premier roman de George Sand, et il est facile d'y voir une part d'autobiographie. Ce roman raconte l'histoire d'une jeune créole, mariée contre sa volonté à un homme plus vieux qu'elle et rustre. Son âme délicate attend le grand amour et, loin de le voir dans son cousin, Sir Ralph, un anglais taciturne qui veille sur elle depuis sa plus tendre enfance, elle tombe amoureuse d'un parisien beau parleur, Raymon.
Hélas, celui là est un Valmont, un Adolphe, qui se détache d'elle sitôt qu'il la possède.
C'est un roman que j'ai énormément aimé et dévoré dans la journée. Il est très finement écrit, avec beaucoup d'esprit et d'ironie, et en même temps, une grande psychologie. Les personnages ne sont ni noirs, ni blancs, mais toujours constrastés. On sent qu'elle les aime beaucoup, même Raymon qui rappelle le premier amour de George Sand, Aurélien de Sèze.
Quant à Indiana, même si elle est dépeinte sous un jour favorable, elle n'est pas parfaite, étant aveuglée par l'amour, passionnée, et globalement assez égoïste.
Un seul personnage semble monolithique : Ralph, adorateur d'Indiana handicapé par une timidité maladive.
Moyennant quoi, la province accompagnait toujours son nom de l'épithète de brave parce que la bravoure militaire est apparemment d'avoir de larges épaules, de grandes moustaches, de jurer fort et de mettre l'épée à la main pour la moindre affaire.
Attention, ce qui suit contient des spoilers sur l'intrigue ...
C'est un roman qui m'a fait penser à plusieurs intrigues que George Sand connaissait ou pouvait connaître.
Déjà, le roman de Bernardin de Saint Pierre Paul et Virginie est cité à de nombreuses reprises dans le roman. Ralph et Indiana sont élevés comme frère et soeur, dans une île paradisiaque et tropical, et un amour nait entre eux qu'ils mettent du temps à reconnaître. Comme dans Paul et Virginie, l'histoire manque de mal se finir, avant d'être sauvée par un épilogue un chouia tiré par les cheveux. De plus, et j'y reviendrai, le thème de la Nature et du Bon Sauvage sont très présents.
Second roman auquel j'ai pensé : Les liaisons dangereuses. Même s'il y a des différences notables, le couple Raymon/Indiana m'a rappelé celui de Valmont/la présidente. Indiana est pure, infiniment pure, tandis que Valmont est un homme à femmes, qui n'aime rien tant que séduire. D'ailleurs, la pureté et l'innocence d'Indiana font partie des choses qui l'attirent chez elle. Comme dans Les liaisons, le séducteur finit par tomber amoureux de sa proie, sauf que là, l'amour ne dure qu'un temps.
Hamlet est également présent dans ce roman, avec le personnage d'Ophélia. La noyade est presque la seule manière de mourir dans ce roman ; Noun flottant entre deux eaux dans la rivière m'a profondément rappelée Ophélia. Et sans parler de la mort de la chienne chérie d'Indiana, assassinée en essayant de rejoindre sa maîtresse à la nage, qui s'appelait Ophélia !
Enfin, le trio Indiana/Raymon/Ralph m'a rappelé celui de Marianne/Willoughby/Brandon, dans Raison et sentiments. Indiana, follement romantique et romanesque, tombe amoureuse d'un homme à femmes qui la laisse tomber et l'humilie en en épousant une autre, avant de revenir vers celui qui l'aimait mais qui ne la faisait pas rêver, et avec lequel elle finit par vivre une vie paisible et heureuse. Le parallélisme est si fort que je me demande si George Sand n'avait pas lu Jane Austen avant d'écrire !!
Je sais que je suis l'esclave vous le seigneur. La loi de ce pays a fait de vous mon maître. Vous pouvez lier mon corps, garrotter mes mains, gouverner mes actions. Vous avez le droit du plus fort, et la société vous le confirme ; mais sur ma volonté, monsieur, vous ne pouvez rien, Dieu seul peut la courber et la réduire.
Bien sûr, le féminisme et la proclamation que la femme est martyrisée par l'homme, en particulier dans le mariage et les relations amoureuses est l'épine dorsale du roman. Raymon et le mari d'Indiana représentent tous les deux des tyrans qui font souffrir la jeune femme, aidés en cela par la société qui pardonne tout au séducteur, et rien à la victime.
L'autre aspect qui m'a marqué, c'est le rousseauisme du roman. La société, la civilisation, sont représentés comme les causes des malheurs d'Indiana. Raymon est un jeune homme à la mode, parisien jusqu'au bout des ongles ; c'est à Paris, à un bal qu'elle tombe amoureuse de lui, alors qu'elle n'avait eu aucun sentiment pour lui lorsqu'elle l'avait rencontré à la campagne. Même Raymon s'assagit et devient plus pur à Crecy ; c'est le retour à Paris, la compagnie de ses amis qui le rend à nouveau cruel et égoïste.
Dans un autre registre, le mari d'Indiana est lui aussi un produit de la société : c'est un ancien soldat de Napoléon, et c'est son caractère soldatesque, brutal, qui fait souffrir Indiana.
Alors que Ralph, élevé comme elle dans les îles, et insensible aux corruptions de la société, représente l'amour et la tendresse.
D'un autre côté, il y a de nombreuses descriptions de la nature, de la région parisienne ou des îles. C'est là que l'âme renait, s'épure ; c'est là qu'Indiana devient plus forte (cf. l'épisode de la chasse). C'est là aussi que les personnages malheureux trouvent la paix grâce au suicide (alors qu'Indiana, qui cherche à se suicider en se noyant dans la Seine, à Paris, n'y parvient pas).
Ce qui me mène au dernier point de ma réflexion : l'importance du suicide comme manière d'échapper à une vie triste et malheureuse. Je ne sais pas dans quel état d'esprit était George Sand lorsqu'elle a écrit ce roman, mais tous les personnages sympathiques envisagent le suicide comme seule échappatoire à leur vie ! De plus, c'est un thème qui revient régulièrement dans le roman : au début, avec le suicide de Noun ; lorsque Raymon abandonne Indiana ; et enfin, dans les toutes dernières pages, comme apothéose finale de l'amour entre Ralph et Indiana.
Alors que lorsque les personnages sont vraiment "au bout du rouleau" (lorsqu'Indiana apprend que Raymon en a épousé une autre), ils n'ont même plus la force de mettre fin à leurs jours !
En tout cas, c'est un roman que j'ai vraiment beaucoup aimé et dont je conseille vivement la lecture !
Lu dans le cadre du challenge Dames de lettres !
Lu dans le cadre du challenge Read me I'm fashion (les tenues d'Indiana ont un importance non négligeable dans ce roman)
Et George Sand étant morte d'une occlusion intestinale, elle entre dans le Challenge nécrophile