"Tu étais heureuse épouse, tu es la plus désolée des veuves ; tu étais joyeuse mère, tu en déplores aujourd'hui même le nom ; tu étais suppliée, tu es suppliante ; tu étais reine, tu es une misérable couronnée d'ennuis. Tu me méprisais, maintenant je te méprisee ; tu faisais peur à tous, maintenant tu as peur ; tu commandais à tous, maintenant tu n'es obéie de personne ! Ainsi la roue de la justice a tourné et t'a laissée en proie au temps, n'ayant plus que le souvenir de ce que tu étais pour te torturer encore étant ce que tu es !"(Acte IV, scène 4)
J'avoue que je m'y suis reprise à plusieurs fois pour lire cette pièce, et que je n'ai fini par y parvenir qu'en construisant les arbres généalogiques des différentes familles. Cet exercice fait, et la feuille sous les yeux, la majesté et la beauté de cette pièce a enfin pu éclater à mes yeux !
Récapitulons. Lorsque la pièce débute, le roi Henri VI s'est fait renverser et tuer ; son fils Edouard de Galles a été assassiné ; Marguerite, veuve d'Henri VI, reine déchue erre et maudit tout ceux qui passent ; et Lady Anne, veuve d'Edouard de Galle pleure ses mari et beau-père.
Edouard IV monte sur le trône, accompagné de sa femme Elizabeth ; ses deux frères, Richard, duc de Gloucester, un nain bossu et haineux, et George, duc de Clarence, un homme bon et naïf, l'accompagnent dans l'ombre.
Mais Richard, qui s'est chargé de toutes les tâches sanglantes du coup d'Etat (tuer Henri VI et Edouard de Galles, entre autres) ne veut pas en rester là, et veut le pouvoir pour lui et pour lui seul. Il va donc s'employer à l'obtenir, agissant dans l'ombre et sans pitié pour les liens du sang.
Richard est un personnage fascinant. Vraiment. C'est un homme sans aucune conscience. Il veut se venger, des autres en règle générale et de la nature, qui l'a fait laid et bossu, en particulier. Il n'aime rien ni personne, mais est habile acteur à le faire croire aux autres en usant tantôt de la trahison, tantôt du mensonge, tantôt des armes. Et malgré tout ... je l'ai trouvé aimable. Ou si ce n'est aimable, suffisament humain pour exciter la pitié et la tendresse.
Est-ce cette caractéristique ? Est-ce sa langue venimeuse qui séduit Lady Anne ? Pleurant son mari et son beau-père, tués par Richard, elle croise le chemin de Richard, et en quelques paroles mensongères il parvient à s'en faire aimer dans une scène admirable (Acte I, scène 2):
"Si ton coeur rancuneux ne peut pardonner, tiens, je te prête cette épée éffilée ; si tu veux la plonger dans cette poitrine loyale et en faire partir l'âme qui t'adore, j'offre mon sein nu au coup mortel et je te demande la mort humblement, à genoux. (il découvre sa poitrine, Anne dirige l'épée contre lui puis la laisse tomber) Non ! Ne t'arrête pas ; car j'ai tué le roi Henry ... Mais c'est ta beauté qui m' aprovoqué ! Allons, dépêche-toi : c'est moi qui ai poignardé le jeune Edouard ! ... (Anne relève l'épée vers lui) Mais c'est ta face divine qui m'y a poussé ! (Elle laisse tomber l'épée.) Relève cette épée ou relève moi !"
Quelque part, en lisant cette pièce, je n'ai pu m'empêcher de penser au Trône de Fer, et trouver des ressemblances entre Richard et Tyrion Lannister, le nain manipulateur et génial de King's Landing.
Autre aspect que j'ai beaucoup aimé dans cette pièce (on va finir par croire que je n'aime que les sorcières et les démons), la Reine Marguerite. Reine déchue, reine en deuil, vieille femme tirant sur la sorcière, elle se promène au milieu des vainqueurs et les maudit, annonçant scène par scène ce qui va se passer dans la suite de l'histoire. Elle m'a fait énormément penser aux trois sorcières de Macbeth, qui comme elle, expliquaient dès le début de la pièce, la gloire et la déchéance. Marguerite maudit, et Marguerite revient sur le théâtre à la fin observer sa vengeance.
"Lady Anne : Qu'une nuit noire assombrisse ton jour, et la mort, ta vie !
Gloucester : Ne te maudis pas toi même, tu es l'un et l'autre." (Acte I, Scène 2)
Pièce pleine de vengeance et de noirceur, affaiblie vers la fin (il fallait bien faire mourir Richard avec cette tirade culte "Un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval"), elle est d'essence même dramatique. Un petit bijou, mais qui nécessite une bonne concentration pour être lue...
Première pièce du Challenge Shakespeare !
Classique anglais